Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 14, 1839.djvu/369

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ayant formés semblables en tout aux autres Monikins. C’est en vertu d’un principe républicain qu’ils avaient retranché cette portion de leur individu, et aucun principe ne devait leur être jeté au nez d’une si rude manière, surtout pendant une éclipse morale.

Ceux qui distribuaient l’essence salutaire aux queues coupées, criaient plus haut encore que les autres ; les faiseurs de caricatures étaient mis en réquisition ; on n’entendait que murmures, menaces, imprécations, et cependant tous lisaient l’ouvrage.

Je m’éloignai de la foule, et repris de nouveau le chemin de ma demeure, en méditant sur ce singulier état de société où une résolution délibérée et adoptée publiquement pouvait faire naître une susceptibilité si vivement manifestée. Je n’ignorais pas que les hommes sont d’ordinaire plus enclins à rougir de leurs imperfections naturelles que de celles qui en grande partie dépendent d’eux-mêmes ; mais les hommes sont, dans leur opinion du moins, placés par la nature à la tête de la création, et à ce titre il est raisonnable de les supposer jaloux de leurs privilèges naturels. Le cas actuel était plutôt particulier à Leaplow que générique, et je ne pouvais m’en rendre raison qu’en supposant que la nature avait placé certains nerfs à rebours dans l’anatomie de ce peuple.

En rentrant au logis, une forte odeur de rôti caressa mes narines et éveilla dans les nerfs olfactives une sensation agréable, mais très-peu philosophique, qui se communiqua aussitôt à la région de l’estomac. Bref, je reçus la preuve évidente qu’il ne suffit pas de transporter un homme dans le pays des Monikins, de l’envoyer au parlement, et de le nourrir de noix pendant une semaine, pour le rendre tout à fait éthéré. Je sentis que la lutte serait inutile. Le fumet du rôti l’emportait sur tous les faits dont je viens de parler, et, forcé d’abandonner les hauteurs de la philosophie pour obéir à un instinct plus humain, je descendis sur-le-champ à la cuisine, guidé par un sentiment assez analogue à celui qui dirige les chiens à la chasse.

En ouvrant la porte de notre réfectoire, je fus inondé d’un parfum si délicieux, qu’ému comme l’est la jeune fille qui prête l’oreille au murmure de l’eau, et oubliant toutes les sublimes vérités qui n’occupaient si récemment encore, je fus coupable de cette faiblesse particulière à notre nature, qu’on exprime ordinairement par la tournure vulgaire : l’eau lui vint à la bouche.