Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 14, 1839.djvu/372

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Noé ne put en supporter davantage, et me saisissant à la gorge, d’après le principe de la loi du talion, je ne tardai pas à ressentir la sensation qu’éprouverait celui dont le gosier serait placé dans un étau. Je n’essaierai pas de décrire fort en détail le miracle qui s’opéra alors. Le gibet doit sans doute guérir beaucoup d’illusions ; car, pour moi, la pression à laquelle je fus soumis fit certainement des miracles en fort peu de temps. Peu à peu, la scène entière changea. D’abord vint un brouillard, ensuite un vertige, et enfin, lorsque le capitaine retira sa main, les objets m’apparurent sous une forme nouvelle, et au lieu d’être à notre auberge à Bivouac, je me trouvai dans mon ancien appartement de la rue de Rivoli à Paris.

— Nom d’un roi ! s’écria Noé, qui, debout devant moi, était encore coloré par suite de l’effort qu’il avait fait ; ceci n’est pas un jeu d’enfant, et s’il doit se renouveler, j’aurai recours à la garcette ! où serait donc le grand mal, sir John, qu’un homme mangeât un singe ?

L’étonnement me rendit muet ; chaque objet était juste à l’endroit où je l’avais laissé le matin de mon départ pour Londres et Leaphigh. En examinant des feuilles de papier couvertes d’une écriture très-fine, qui étaient éparses sur une table placée au milieu de la chambre, je m’aperçus qu’elles contenaient ce manuscrit jusqu’au dernier chapitre. Le costume du capitaine n’avait rien d’inusité non plus que le mien ; j’étais habillé à la Parisienne et lui à la Stonington. Un petit vaisseau, construit avec beaucoup d’adresse et auquel il ne manquait pas un seul cordage, était sur le parquet ; on lisait sur sa poupe le nom de Walrus. En voyant mes yeux égarés se fixer sur le navire, Noé me dit que, n’ayant rien à faire qu’à s’occuper de ma santé, il s’était amusé à fabriquer ce joujou ; je compris plus tard que c’était là une manière polie de désigner les fonctions de gardien qu’il avait remplies près de ma personne.

Tout était incompréhensible. On sentait réellement l’odeur qui suit un repas. J’éprouvais aussi cet état de plénitude qui succède souvent à un dîner, et un plat rempli d’os était en évidence. J’en pris un pour examiner le genus ; le capitaine m’informa alors avec bonté que c’étaient les restes d’un cochon de lait qu’il avait eu beaucoup de peine à se procurer, les Français considérant l’acte de manger cet animal comme presque aussi coupable que