Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 14, 1839.djvu/385

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devant nous ; nous en parlerons quelquefois cependant, car entre nous aucun secret ne doit exister.

Je baisai ses yeux humides et je répétai mot pour mot ce qu’elle venait de dire. Anna n’a pas manqué à sa parole ; il lui est arrivé rarement de revenir sur le passé ; et lorsqu’elle l’a fait, c’était plus souvent en allusion à ses propres chagrins qu’aux impressions qui m’étaient personnelles,

Mais si mon voyage dans le pays monikin est un sujet interdit en quelque sorte entre ma femme et moi, la prescription ne s’étend pas plus loin, et le lecteur peut être bien aise de connaître l’effet que cette extraordinaire aventure a laissé dans mon esprit après un intervalle de dix ans.

Il y a des moments où le tout me paraît un rêve, mais en regardant en arrière et en le comparant à d’autres scènes dans lesquelles j’ai joué un rôle, je ne peux m’empêcher de reconnaître que ce souvenir est empreint dans ma mémoire d’une manière tout aussi indélébile que les autres ; de plus, les faits eux-mêmes sont si semblables à ceux dont je suis le témoin dans le cours ordinaire de la vie, que j’en suis venu à conclure que j’ai été à Leaphigh, par la voie que j’ai indiquée, et que j’en suis revenu durant le délire passager d’une fièvre. Je crois donc qu’il existe des contrées telles que Leaphigh et Leaplow ; et après beaucoup de réflexions, je pense que j’ai rendu ici toute justice au caractère monikin en général.

De fréquentes méditations sur les événements dont j’ai été témoin ont eu pour résultat de produire dans mes premières opinions des changements assez importants, et d’ébranler même quelques-unes des notions dans lesquelles je puis dire avoir été nourri et élevé. Afin de prendre au lecteur aussi peu de temps que possible, je vais rédiger un sommaire de mes conclusions, et prendre ensuite congé de lui, en le remerciant beaucoup d’avoir eu la patience de lire ce que j’ai écrit. Avant de compléter ainsi ma tâche, il sera bien cependant d’ajouter un mot relatif à un ou deux de mes compagnons de voyage.

Je n’ai jamais pu éclaircir si nous avions ou non mangé le brigadier Downright ; le mets était si savoureux, il me parut si délicieux après une semaine de contemplations philosophiques sur des noix ; le souvenir de ce plaisir est encore si vif, que je suis enclin à penser qu’il n’y a qu’un bon et matériel dîner qui puisse