feuilles des arbrisseaux me le prouvait ; mais une rose envieuse se trouvait précisément au seul endroit par où j’aurais pu l’entrevoir.
— Pourquoi formez-vous un souhait si cruel ? demanda le docteur d’un ton presque grave.
— Parce que je hais l’agiotage et les richesses qu’il procure. Il me semble que si John était plus pauvre, on l’estimerait davantage.
En parlant ainsi, elle se retira de la croisée, et je m’aperçus que c’était sa joue que j’avais prise pour une rose ; le docteur sourit, et je l’entendis distinctement baiser cette joue vermeille ; j’aurais donné mon espoir d’un million pour être en ce moment le recteur de Tenthpig.
— Si c’est là tout, ma chère enfant, vous pouvez avoir l’esprit en repos ; la fortune de John ne le fera jamais mépriser, à moins qu’il n’en fasse un mauvais usage. Hélas ! Anna, nous vivons dans un siècle de corruption et de cupidité. Le désir général du gain paraît faire perdre de vue tout motif généreux ; et celui qui montre du penchant à une philanthropie pure et désintéressée est regardé comme un hypocrite dont il faut se méfier, ou comme un fou qu’il est permis de tourner en dérision. La maudite révolution qui a eu lieu chez nos voisins les Français a bouleversé toutes les opinions, et la religion même a chancelé au milieu de l’anarchie des étranges théories qui se sont élevées. Aucun des biens du monde n’a été plus sévèrement dénoncé par les écrivains sacrés que la richesse, et pourtant c’est une idole qui fait de grands pas pour obtenir l’ascendant. Elle corrompt la société jusque dans ses entrailles, pour ne rien dire de la vie future ; et le respect dû à la naissance cède même à des sentiments mercenaires.
— Et ne croyez-vous pas, mon père, que l’orgueil de la naissance soit un préjugé aussi bien que celui des richesses ?
— À strictement parler, ma chère enfant, aucune espèce d’orgueil ne peut se défendre, d’après les principes de l’évangile ; mais certainement quelques distinctions sont nécessaires parmi les hommes, même pour assurer leur tranquillité. Si les principes des niveleurs étaient admis, les hommes lettrés et accomplis descendraient au même rang que les gens ignorants et grossiers, puisque cette dernière classe ne peut atteindre aux mêmes qualités que la première, et le monde retomberait dans la barbarie. Le caractère de gentilhomme chrétien a quelque chose de trop