Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 14, 1839.djvu/41

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— C’est que mistress Norton a dit que John n’avait pas été invité chez sir Harry Griffin parce que son père est un agioteur. Croyez-vous que cela soit vrai, mon père ?

— Très-probablement, répondit le docteur, que je m’imaginai voir sourire de cette question. Sir Harry a l’avantage de la naissance, et il n’a vraisemblablement pas oublié que notre ami John n’est pas si heureux ; d’ailleurs, quoique sir Harry soit fier de sa fortune, il s’en faut d’un million ou deux qu’il soit aussi riche que le père de John, qui pourrait l’acheter dix fois, suivant le langage de la Bourse. Ce motif a peut-être eu plus d’influence sur lui que le premier. De plus, on soupçonne sir Harry de spéculer lui-même même sur les fonds à l’aide d’agents intermédiaires, et un gentilhomme qui a recours à de tels moyens pour augmenter sa fortune, est assez porté à s’exagérer les avantages sociaux pour racheter son humiliation secrète.

— Et des gentilshommes deviennent-ils réellement des agioteurs, mon père ?

— Il s’est opéré de mon temps de grands changements dans le monde, Anna. Les anciennes opinions ont été ébranlées, et les gouvernements eux-mêmes ne seront bientôt plus que des établissements politiques pour faciliter l’accumulation de l’argent : mais c’est un sujet que vous ne pouvez comprendre, et je ne prétends pas moi-même y être très-profond.

— Mais le père de John est-il réellement si prodigieusement riche ? demanda Anna, dont les pensées n’avaient pas suivi le fil du discours de son père.

— On le croit ainsi.

— Et John est son héritier ?

— Certainement, — il n’a pas d’autre enfant ; mais il n’est pas facile de dire ce qu’un être si singulier veut faire de son argent.

— J’espère qu’il le déshéritera.

— Vous me surprenez, Anna. — Vous qui êtes si bonne et si raisonnable, souhaiter un pareil malheur à notre jeune ami, John Goldencalf !

Le vœu extraordinaire formé par Anna, me fit lever les yeux sur elle ; et j’aurais en ce moment donné toutes mes prétentions à la fortune en question pour la voir un instant, afin de pouvoir juger du motif qui l’avait fait parler ainsi, en examinant l’expression de ses traits. Elle était encore à la croisée ; l’agitation des