Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 14, 1839.djvu/95

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le fait, vous êtes libre. Cependant, comme nous sommes au milieu d’un peuple accoutumé à voir votre race dans l’assujettissement, il pourrait être imprudent de proclamer votre émancipation, car il serait à craindre qu’il ne se formât quelque conspiration contre vos droits naturels. Nous nous retirerons donc sur-le-champ dans mon hôtel, où votre bonheur futur sera l’objet de nos délibérations et de nos réflexions communes.

Le respectable et noble étranger m’écouta avec une gravité et un sang-froid imperturbables, jusqu’au moment où la chaleur du débit me fit lever le bras avec vivacité pour faire un geste. Alors, emporté sans doute par l’émotion délicieuse que fit naturellement naître en son cœur ce changement soudain de fortune, il fit trois sauts périlleux avec une telle rapidité, qu’on aurait pu douter un instant si la nature avait placé sa tête ou ses talons à la plus haute extrémité de sa personne.

Faisant signe au capitaine Poke de me suivre, je pris alors directement le chemin de la rue de Rivoli. Nous étions suivis par une foule immense qui ne fit que s’accroître jusqu’à l’instant où nous entrâmes dans l’hôtel, et je fus très-charmé d’y voir mes hôtes en sûreté ; car, d’après les cris et les quolibets de la masse vivante qui nous marchait en quelque sorte sur les talons, je voyais de nombreux indices de nouveaux projets contre leurs droits. En entrant dans mon appartement, un exprès qui m’avait été dépêché d’Angleterre, et qui attendait mon retour, me remit un paquet qui m’était envoyé par mon principal agent. Je donnai à la hâte des ordres pour qu’on ne laissât manquer de rien le capitaine Poke ni les étrangers, et j’étais sûr qu’ils seraient fidèlement exécutés ; car sir John Goldencalf, avec un revenu supposé de trois millions de francs, n’avait qu’à dire un mot dans l’hôtel pour être obéi. Je passai alors dans mon cabinet, et je m’assis pour lire les lettres contenues dans le paquet que je venais de recevoir.

Hélas ! il n’y avait pas une seule ligne d’Anna. La cruelle se jouait encore de ma misère, et, pour me venger, je songeai un instant à adopter les idées musulmanes, afin de pouvoir me former un sérail.

Ces lettres m’étaient écrites par une multitude de correspondants, dont quelques-uns étaient chargés de mes intérêts dans différentes parties du monde. Une demi-heure auparavant, je mourais d’envie d’ouvrir des relations plus intimes avec les inté-