Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 15, 1839.djvu/15

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pour elle la même tendresse que si elle eût été sa mère. Mais Nanny Sidley était plus propre à donner des soins au corps d’Ève qu’à son esprit, et quand, à l’âge de dix ans, M. Effingham donna à sa fille une gouvernante pleine de talents, la bonne femme avait tranquillement et insensiblement renoncé à ses anciennes fonctions pour prendre celles de femme de chambre.

Une des épreuves les plus cruelles, une des croix, comme elle l’exprimait elle-même, que la pauvre Nanny eut à supporter, fut quand Ève commença à parler une langue qu’elle ne pouvait comprendre ; car, malgré la meilleure volonté du monde, la bonne femme, dans l’espace de dix ans, ne put jamais rien entendre aux langues étrangères que sa jeune maîtresse apprenait si rapidement. Un jour qu’Ève avait eu une conversation vive et enjouée en italien avec sa gouvernante, Nanny, perdant tout empire sur elle-même, la serra dans ses bras, fondit en larmes, et la supplia de ne pas devenir tout à fait une étrangère pour son ancienne bonne. Les caresses d’Ève lui firent bientôt sentir sa faiblesse ; mais le sentiment naturel était si fort en elle, qu’il lui fallut des années pour rendre justice aux excellentes qualités de mademoiselle Viefville, à qui la surintendance de l’éducation de miss Effingham avait été confiée.

Cette mademoiselle Viefville était aussi du nombre des passagers ; et c’était l’autre personne qui occupait les chambres avec Ève et ses parents. Elle était fille d’un officier français qui avait perdu la vie dans les campagnes de Napoléon, et elle avait été élevée dans un de ces admirables établissements qui reposent doucement la vue lorsqu’on parcourt l’histoire de ce conquérant despote. Elle avait déjà vécu assez longtemps pour présider à l’éducation de deux jeunes personnes, et Ève Effingham était la seconde. Dix ans de relations intimes et continues avec sa jeune élève lui avaient inspiré pour elle assez d’attachement pour qu’elle cédât aux sollicitations que lui fit le père d’accompagner sa fille en Amérique, et d’y passer avec elle la première année de son noviciat dans un état de société qu’il sentait devoir être tout nouveau pour une jeune personne élevée comme Ève l’avait été.

On a dit et écrit tant de choses sur les gouvernantes françaises, que nous ne reviendrons pas sur ce sujet : nous laisserons mademoiselle Viefville parler et agir elle-même dans le cours de cet ouvrage. Nous n’avons pas non plus l’intention d’entrer dans de plus longs détails sur aucun de nos personnages ; et ayant tracé une esquisse de leurs caractères nous retournerons à notre histoire,