pouvaient seuls songer à dormir dans les circonstances où se trouvaient nos deux marins ; mais ils étaient trop accoutumés à se lever à la hâte dans les moments d’alarme pour perdre des instants précieux à se livrer à leurs craintes comme des femmes, quand ils savaient qu’ils auraient besoin le lendemain matin de toute leur énergie et de toutes leurs forces, que les Arabes arrivassent ou non. Ils établirent une vigie, dirent à l’homme qui en était chargé de recommander la plus active vigilance à celui qui le relèverait, et alors le capitaine Truck se jeta sur le lit du pauvre Danois qui était alors esclave dans le désert, tandis que M. Leach se faisait conduire à la chaloupe sur le canot. Ils ne furent pas cinq minutes étendus sur leur couche temporaire sans être profondément endormis.
CHAPITRE XIX.
e sommeil de l’homme fatigué est plein de douceur. De tous ceux
qui étaient ainsi profondément endormis sur le bord du grand désert,
exposés à chaque instant à être attaqués par des pillards barbares, un
seul songeait au danger, quoiqu’il y fût si peu exposé ; qu’il aurait
dû y penser moins que bien d’autres, si son imagination n’eût servi
plus souvent à l’égarer qu’à lui suggérer des idées justes et raisonnables.
Cet individu était sur le cutter ; et comme il était à une distance
assez considérable de la terre, que les Arabes n’avaient aucun
bateau, et qu’ils n’auraient probablement pas même su comment le
conduire s’ils en avaient eu un, il n’avait à craindre tout au plus
qu’une décharge de leurs longs mousquets. Mais ce risque invraisemblable
suffisait pour le tenir éveillé ; car c’est autre chose de
fomenter la méchanceté, de faire circuler des commérages, d’écrire
des articles diffamatoires et de prendre un ton d’hypocrisie dans un
journal, ou de faire face à une volée de mousqueterie. La nature,
l’éducation et l’habitude avaient rendu M. Dodge parfaitement propre
au premier métier, mais il n’avait pas la moindre vocation pour le
second. Quoique M. Leach, en plaçant ses vigies à bord des embarcations,
eût complètement oublié l’éditeur du Furet Actif, jamais
M. Dodge n’avait déployé tant d’activité que dans tout le cours de
cette nuit, et il aurait vingt fois éveillé tous ses compagnons pour de