Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 15, 1839.djvu/24

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s’étaient vus pour la première fois dans le canot ; c’était une nouvelle délicieuse pour le capitaine Truck, qui ne perdit pas un instant pour en profiter. S’arrêtant tout à coup, il se mit en face de ses compagnons, et faisant un geste solennel de la main, il s’acquitta du cérémonial qui lui semblait si important, et dans lequel il se piquait d’être passé maître.

— Monsieur Sharp, permettez-moi de vous présenter M. Blunt ; monsieur Blunt, trouvez bon que je vous fasse connaître M. Sharp.

Les deux voyageurs, quoique un peu surpris du ton de dignité formelle du capitaine, se saluèrent avec civilité en souriant. Ève, que cette scène amusait, n’en perdit rien, et découvrit alors à son tour l’expression douce et mélancolique des traits de l’un, et la rigidité qui caractérisait la physionomie de marbre de l’autre. Ce fut peut-être ce qui la fit tressaillir, quoique presque imperceptiblement, et ce qui donna un coloris plus vif à ses joues.

— Notre tour va venir, murmura John Effingham ; préparez vos grimaces.

Il ne se trompait pas. Ayant entendu sa voix, sans entendre ses paroles, le capitaine continua à jouer le rôle qu’il s’était imposé, à son infinie satisfaction.

— Messieurs, j’ai l’honneur de vous présenter miss Effingham, mademoiselle Viefville, M. Effingham et M. John Effingham. — Chacun avait bientôt appris à faire cette distinction, en parlant des deux cousins. — Mesdames, permettez que je vous présente M. Sharp et M. Blunt ; — M. Blunt et M. Sharp, Messieurs.

Le salut plein de dignité de M. Effingham et le sourire plein de réserve et de modestie de sa fille auraient chassé toute idée de familiarité, même de l’esprit de personnes qui auraient eu moins de savoir-vivre que les deux étrangers, et ils reçurent l’honneur inattendu de leur présentation en hommes qui sentaient qu’ils n’étaient en ce moment que des intrus. M. Sharp en ôtant son chapeau pour saluer Ève, le tint un instant suspendu sur sa tête ; et baissant ensuite le bras, il la salua avec un profond respect, quoique avec quelque raideur. Le salut qu’elle reçut de M. Blunt fut moins élaboré, et aussi marqué que les circonstances le permettaient. Les deux voyageurs furent un peu surpris de la hauteur glaciale de John Effingham, dont le salut, quoique accompagné de toutes les formes extérieures d’usage, fut ce qu’Ève avait coutume d’appeler en plaisantant : impérial. Le tumulte des préparatifs et la certitude que les occasions ne manqueraient pas pour faire plus ample connaissance, firent que cette entrevue se borna aux saluts