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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 15, 1839.djvu/268

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— Il est certain qu’un mensonge en appelle un autre. Mais puisque nous sommes entrés dans cette carrière, ne ferions-nous pas bien d’y persister jusqu’à notre arrivée en Amérique ? Quant à moi, du moins, je ne pourrais réclamer à présent mon nom véritable, sans déposer un usurpateur.

— Vous ferez certainement bien d’agir ainsi, quand ce ne serait que pour échapper aux hommages de ce double démocrate M. Dodge. Quant à moi, peu de gens prennent assez d’intérêt à moi pour s’inquiéter du nom que je porte. Cependant j’avoue que je préférerais laisser les choses telles qu’elles sont, pour des raisons que je ne puis trop expliquer.

Ils n’en dirent pas davantage sur ce sujet, mais il fut entendu entre eux qu’ils conserveraient momentanément les noms qu’ils avaient pris. À l’instant où ils finissaient cette courte conversation, tous ceux qui restaient, à bord du paquebot arrivèrent sur le pont. Tous montraient un calme forcé, quoique l’extrême pâleur des dames annonçât la terreur dont elles étaient frappées. Ève luttait contre ses craintes par amour pour son père, qui avait été accablé à un tel point par cette nouvelle qu’il en avait perdu toute sa fermeté ; mais il avait alors repris son air de dignité, quoiqu’il fût plongé dans une angoisse inexprimable. John Effingham était sérieux et pensif. Dans l’amertume de son cœur, il avait d’abord murmuré quelques imprécations contre la folie qu’il avait commise en consentant à se dépouiller de ses armes. Une fois l’idée terrible de sacrifier Ève, pour lui éviter une captivité qu’il regardait comme plus horrible pour elle que la mort, s’était présentée à son esprit ; mais l’extrême tendresse qu’il avait pour sa jeune cousine, son caractère plein d’humanité, avaient bientôt banni cette pensée dénaturée. Cependant, quand il arriva sur le pont, il avait encore une idée vague qu’ils touchaient à l’instant où les circonstances exigeraient qu’ils mourussent tous ensemble. Personne ne montrait plus de calme que mademoiselle Viefville. Sa vie n’avait été qu’une suite de sacrifices ; elle se disait que sa mort, au milieu d’une scène de violence, serait le dernier, et elle s’y était résignée. Avec une espèce d’héroïsme national, elle s’était armée d’une fermeté romaine, et elle se préparait à subir son destin avec une tranquillité que des hommes auraient pu lui envier.

Telles étaient les idées et les impressions de ceux qui, à la fin d’une nuit paisible, avaient été éveillés en sursaut par la nouvelle d’un danger imminent. Mais elles s’affaiblirent quand ils se trouvèrent réunis sur le pont, et que le jour, qui paraissait alors, leur permit d’examiner leur situation. Paul Blunt surtout jeta un coup d’œil