Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 15, 1839.djvu/64

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Vous paraissez pencher pour la doctrine de M. Blunt, miss Effingham ? dit M. Sharp, d’un ton qui sentait un peu le reproche. Je crains que vous n’en fassiez une question nationale.

— Peut-être ai-je, comme tout le monde ici, à ce qu’il me semble, permis à la compassion de l’emporter sur la raison ; et pourtant il faudrait de fortes preuves pour me persuader que ce procureur à figure repoussante était chargé d’une bonne cause, et que cette femme si douce et ayant un si bon cœur en avait une mauvaise.

M. Blunt et M. Sharp sourirent tous deux et se tournèrent vers Ève comme pour l’engager à continuer ; mais elle garda le silence, en ayant déjà dit, à ce qu’elle pensait, plus qu’il n’était convenable.

— J’avais espéré, monsieur Blunt, trouver en vous un allié pour soutenir le droit de l’Angleterre de saisir ses marins lorsqu’ils se trouvent à bord de bâtiments d’une autre nation, reprit M. Sharp quand quelques instants de silence respectueux eurent prouvé aux deux jeunes gens qu’ils n’avaient rien de plus à attendre de leur belle compagne ; mais je crains d’avoir à vous compter au nombre de ceux qui désirent voir réduire les droits de l’Angleterre, coûte que coûte.

— Je ne désire certainement pas voir son pouvoir maintenu, coûte que coûte, répondit M. Blunt en riant, et je crois qu’en énonçant cette opinion, je puis réclamer ces deux dames pour alliées.

Certainement, s’écria mademoiselle Viefville qui était une preuve vivante que les sentiments créés par des siècles d’animosité ne peuvent s’effacer par quelques traits de plume.

— Quant à moi, monsieur Sharp, ajouta Ève, vous pouvez supposer qu’étant Américaine, je ne puis reconnaître à aucun pays le droit de nous faire une injustice ; et je vous prie de ne pas me compter parmi ceux qui désirent voir le pays de mes ancêtres privé d’aucun des droits qu’il peut légitimement réclamer.

— C’est un appui formidable, et il faut que je rallie toutes mes forces pour me défendre. Sérieusement, monsieur Blunt, me permettrez-vous de vous demander si vous croyez qu’on puisse nier le droit qu’a l’Angleterre au service de ses marins ?

— Sérieusement donc, monsieur Sharp, il faut que je vous demande si vous entendez que ce droit peut s’exercer par la force ou par la raison ?

— Par la raison, certainement.

— Je crois que vous avez pris le côté faible de l’argument des Anglais. La nature du service que le sujet ou le citoyen, comme c’est maintenant la mode de parler à Paris, Mademoiselle…