— À propos, monsieur Effingham vous avez été en Russie. Avez-vous vu l’empereur, par hasard ?
— J’ai eu ce plaisir, monsieur Howel.
— Est-ce réellement un monstre, comme on nous le représente ?
— Un monstre ! — Que voulez-vous dire, mon digne ami ? Vous ne parlez sûrement pas de son physique ?
— Je ne sais que vous en dire. — Je me suis mis dans l’idée qu’il ne brille pas par la beauté. Je me le figure comme une sorte de garçon boucher, petit, et ayant l’air commun.
— Vous calomniez un des plus beaux hommes de notre siècle.
— Je crois que je soumettrais la question à un jury. Après ce que j’ai lu de lui dans des ouvrages anglais, je ne puis croire qu’il soit si bien fait.
— Mais, mon cher voisin, ces ouvrages anglais se trompent ou ils ont des préventions, ou ils sont de mauvaise foi.
— Oh ! je ne suis pas homme à m’en laisser imposer ainsi. D’ailleurs, quel motif un écrivain anglais peut-il avoir pour calomnier l’empereur de Russie ?
— Sans doute, quel motif ? s’écria John Effingham. Vous avez la bouche fermée, Édouard.
— Mais songez, monsieur Howel, que nous avons vu l’empereur Nicolas.
— Je suis sûr, miss Effingham, que votre bonté naturelle vous a portée à le juger le plus favorablement possible ; et à présent que j’y pense, je crois que, depuis le congrès de Gand, bien des Américains ont été disposés à en juger de même. Non, non je me contente de ce qu’en disent les Anglais. Ils sont beaucoup plus près que nous de Saint-Pétersbourg, et ils sont aussi plus accoutumés à rendre un compte exact en pareille occasion.
— Mais, Tom Howel, s’écria M. Effingham avec plus de chaleur que de coutume, à quoi sert d’être plus près dans un cas semblable, si l’on n’est pas assez près pour voir de ses propres yeux ?
— Fort bien, fort bien, mon bon ami, nous en parlerons une autre fois. Je connais votre penchant à juger tout le monde avec indulgence. Maintenant, je vous souhaite le bonjour à tous, et j’espère vous revoir bientôt. — Miss Ève, j’ai un mot à vous dire, si vous voulez bien accorder à un jeune homme de cinquante ans une minute de tête à tête dans la bibliothèque.
Ève se leva sur-le-champ et conduisit M. Howel dans la biblio-