Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 16, 1839.djvu/209

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pour comprendre que l’opinion publique, pour être toute-puissante ou même formidable au-delà d’une effervescence temporaire, doit être conforme à la justice, et que si un homme se rend méprisable en adoptant inconsidérément et injustement de fausses idées, des corps d’hommes, tombant dans la même erreur, encourent les mêmes peines, et, en outre, le reproche de s’être comportés en lâches.

Tous deux avaient encore commis une autre méprise, faute de savoir distinguer les principes. La résistance d’un individu à la volonté populaire leur paraissait en soi-même un acte d’arrogance et d’aristocratie, sans qu’il fût besoin d’examiner la question de savoir si cet individu avait tort ou raison. Ils croyaient avec assez de justice dans l’acception générale de ce terme, que le peuple était le souverain, et ils faisaient partie d’une classe nombreuse qui, dans une démocratie, regardent la désobéissance au souverain, même dans ses caprices illégaux, à peu près comme le sujet d’un despote considère la désobéissance à son maître.

Il est à peine nécessaire de dire que M. Effingham et son cousin pensaient à cet égard tout différemment. Judicieux, juste et libéral, dans toute sa conduite, le premier surtout ne songeait qu’avec peine à ce qui venait de se passer, et il se promena plusieurs minutes en silence après le départ de M. Bragg, étant réellement trop affligé pour pouvoir parler.

— C’est une affaire très-extraordinaire, John, dit-il enfin. Il me semble que c’est une pauvre récompense de la libéralité que j’ai montrée en permettant au public depuis trente ans de venir se récréer sur une propriété qui m’appartient, et souvent, très-souvent, comme vous le savez, d’une manière gênante pour moi et pour mes amis.

— Je vous avais prévenu, Édouard, que vous ne deviez pas vous attendre à retrouver l’Amérique à votre retour telle que vous l’aviez laissée en partant pour l’Europe. Je suis convaincu qu’aucun pays n’a subi en si peu de temps un pareil changement en pire.

— Qu’une prospérité pécuniaire sans exemple détériore sensiblement les manières de ce qu’on appelle le monde, en introduisant tout à coup dans la société des corps nombreux d’hommes et de femmes sans éducation et sans instruction, c’est une suite naturelle de causes évidentes. Nous devons même nous attendre à ce que cette circonstance corrompe les mœurs, car on nous a