Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 16, 1839.djvu/222

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— C’est le véritable esprit de la religion, mistress Abbot ; soyez-y ferme, et votre rédemption est assurée. Je ne publie un journal que pour montrer l’intérêt que je prends à mes semblables.

— J’espère, monsieur Dodge, que la presse n’a pas dessein de laisser dormir cette affaire de la pointe. La presse est le véritable gardien des droits du public, et je puis vous dire que toute la communauté attend son appui dans cette crise.

— Nous ne manquerons pas de faire notre devoir, répondit M. Dodge en baissant la voix, et en regardant autour de lui. — Quoi ! un individu insignifiant, qui n’a pas le moindre droit au-dessus du moindre citoyen de ce pays, l’emporterait sur cette grande et puissante communauté ! quand même M. Effingham serait propriétaire de cette pointe de terre…

— Il ne l’est pas, monsieur Dodge. De temps immémorial, depuis que j’habite Templeton, c’est le public qui en a toujours été propriétaire. D’ailleurs le public dit qu’il en est propriétaire, et ce que dit le public fait loi dans cet heureux pays.

— Mais en supposant qu’elle n’appartint pas au public…

— Mais je vous dis qu’elle lui appartient, répéta la dame encore plus positivement.

— Eh bien ! Madame, qu’il en soit propriétaire ou non, l’Amérique n’est pas un pays où la presse doive garder le silence quand un individu insignifiant veut braver le public. Laissez-nous le soin de cette affaire, mistress Abbot ; on ne la négligera point.

— J’en suis pieusement enchantée.

— Je vous dis cela comme à une amie, continua M. Dodge en tirant de sa poche avec précaution un manuscrit qu’il se prépara à lire à la dame dont les yeux exprimaient la curiosité qui la dévorait.

Le manuscrit de M. Dodge contenait un prétendu compte de toute l’affaire de la pointe. Le style en était obscur, et il s’y trouvait plusieurs contradictions ; mais l’imagination de mistress Abbot savait les concilier et remplir toutes les lacunes. Ce pamphlet était rempli de tant de professions de mépris pour M. Effingham, que tout homme raisonnable devait être surpris qu’un sentiment qui est ordinairement si passif eût éclaté tout à coup avec une activité si violente. Quant aux faits, pas un seul n’était fidèlement rapporté, et il s’y trouvait plusieurs mensonges, dont le but évident était de donner un faux coloris à toute l’affaire.