Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 16, 1839.djvu/239

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calme, et pour la première fois depuis qu’elle la connaissait, elle fut mécontente de mistress Bloomfield. Elle hésita, et de manière à donner encore plus de force à sa réponse, avant d’en faire une, qui fut négative.

— L’heureux mortel peut donc être Américain et marin. C’est un grand encouragement. Avez-vous quelque répugnance pour soixante ans ?

— Je regarderais certainement cet âge en tout autre comme un léger défaut, puisque mon père n’en a encore que cinquante.

Mistress Bloomfield fut frappée du tremblement de voix et de l’air d’embarras d’une jeune personne qui avait ordinairement tant d’aisance et de franchise, et, avec le tact d’une femme, elle renonça sur-le-champ à badiner davantage. Mais elle réfléchit plus d’une fois, dans le cours de la journée, à cette émotion réprimée et, à compter de ce moment, elle observa silencieusement la conduite d’Ève envers tous les hôtes de son père.

— C’est assez d’espérance pour un jour, dit-elle en se levant. Le pays et la profession doivent chercher, s’il est possible, à contrebalancer le nombre des années. Mistress Hawker, je vois à cette pendule que nous ne serons pas prêtes pour l’heure du dîner, à moins que nous ne nous retirions promptement.

Les deux dames montèrent dans leur chambre ; Ève, qui avait déjà fait sa toilette pour le dîner, resta dans le salon. Paul était encore près d’elle, et, comme elle, il paraissait embarrassé.

— Il y a bien des hommes qui seraient enchantés d’entendre le peu de mots qui sont sortis de vos lèvres dans ce badinage, dit-il, dès que mistress Bloomfield ne fut plus à portée de l’entendre. Être Américain et marin ne sont donc pas de sérieux défauts à vos yeux ?

— Dois-je être rendue responsable des caprices et des plaisanteries de mistress Bloomfield ?

— Nullement ; mais je crois que vous vous regardez comme responsable de la franchise et de la véracité de miss Effingham. Je puis comprendre votre silence quand les questions qu’on vous fait vont trop loin ; mais je suis certain que ce que vous assurez positivement doit être vrai et sincère.

Ève leva les yeux sur lui avec reconnaissance, car elle vit que son respect pour elle lui avait dicté cette remarque ; mais, se levant, elle lui dit en faisant un effort pour ne pas se trahir :

— C’est faire une affaire très-sérieuse d’un petit badinage sur