Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 16, 1839.djvu/298

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peut-être est alimenté en partie par nos institutions. Voici justement M. Bragg pour confirmer ce que je vous dis. Je serais charmé de savoir ce qu’il pense sur ce sujet.

Aristobule et M. Dodge, qui se promenaient ensemble dans les bosquets, passaient en ce moment près d’eux, et M. Powis fit la question au premier, comme on s’adresse à une connaissance dans un salon.

— Le changement dans les sentiments, Monsieur, répondit le gérant, est dans la nature, comme le changement dans les places est un acte de justice. Quelques-uns de nos concitoyens pensent même qu’il serait utile de pouvoir faire changer périodiquement de place à toute la société, afin que chacun sût comment vit son voisin.

— Vous êtes donc partisan des lois agraires, monsieur Bragg ?

— Bien loin de là, Monsieur, et je ne crois pas que vous trouviez un pareil être dans tout le pays. Quand il s’agit de la propriété, nous sommes un peuple qui ne lâche jamais ce qu’il peut tenir, Monsieur ; mais, sauf cette exception, nous aimons des changements rapides. Par exemple, miss Effingham, chacun croit qu’un changement fréquent d’instructeurs religieux serait indispensable. Il ne peut y avoir de véritable piété, si l’on n’entretient pas la flamme par de nouveaux matériaux.

— J’avoue, Monsieur, que mes raisonnements me conduiraient à une tout autre conclusion, et que je dirais que la piété ne peut être véritable quand elle a besoin sans cesse de nouveaux matériaux.

M. Bragg regarda M. Dodge, M. Dodge regarda M. Bragg ; tous deux levèrent les épaules, et le premier reprit la parole :

— Ce peut être le cas en France, Miss ; mais en Amérique, nous regardons le changement comme le grand purificateur. Autant vaudrait espérer que l’air serait salubre au fond d’un puits, que de s’imaginer que l’atmosphère morale puisse être pure et claire, si elle n’est purifiée par le changement. Quant à moi, monsieur Dodge, je pense que personne ne devrait être juge dans la même cour plus de dix ans ; et au bout de cinq, un prêtre n’a plus que des lieux-communs à dire. Il y a des hommes qui peuvent durer un peu plus longtemps, j’en conviens ; mais pour maintenir une chaleur de piété réelle, vitale, régénératrice et capable de sauver les âmes, il faudrait un changement de ministre tous les cinq ans dans chaque paroisse ; du moins, c’est mon opinion.