Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 16, 1839.djvu/369

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sentait que ses idées étaient plus justes, plus sensées, et même plus consciencieuses que celles de la plupart des hommes ; il était bien rare qu’il daignât consulter quelqu’un sur ce qu’il devait penser, ou sur ce qu’il avait à faire. Il est à peine nécessaire d’ajouter qu’un tel homme avait de fortes passions qui souvent devenaient trop impérieuses pour que ses affections et même ses principes pussent résister à leur impulsion. Les aveux qu’il était obligé de faire en ce moment étaient donc pour lui une scène mortifiante et d’humiliation ; et cependant, sentant qu’il était juste et même nécessaire qu’il les fît, et ayant pris la résolution de s’acquitter de ce qui était devenu pour lui un devoir, la fierté de son caractère le porta à les faire avec courage et sans aucune réserve inutile. C’était pourtant une tâche pénible et humiliante, et il fallait tout son empire sur lui-même, tout son amour pour la justice, et toutes les suites que pouvait avoir son silence, et qui ne pouvaient manquer de se présenter à l’esprit d’un homme si judicieux, pour le mettre en état de la remplir avec clarté et fermeté.

John Effingham reçut Paul et Ève, assis sur un grand fauteuil ; car, quoiqu’on ne pût pas dire qu’il fût malade, il était évident que les événements qui étaient arrivés, et l’agitation qu’il avait éprouvée depuis la soirée précédente, lui avaient fait subir un choc violent. Il serra la main de Paul, prit ensuite celle d’Ève qu’il tira à lui, et imprima un baiser sur une joue brûlante que le tumulte des idées qui l’occupaient faisait pâlir et rougir tour à tour. Le regard qu’il jeta sur Paul était plein d’affection, quoique une tache pourpre au centre de chaque joue laissât voir que la présence de son fils était pour lui un sujet de peine et de plaisir en même temps.

— Il ne peut y avoir maintenant aucun doute que vous ne soyez mon fils, mon cher Paul, dit-il avec un sourire affectueux, mais mélancolique. Les lettres écrites par John Assheton à votre mère, après leur séparation, auraient suffi pour prouver ce point important, quand même les noms et les autres faits venus à notre connaissance ne m’auraient pas déjà convaincu de cette vérité précieuse ; car la connaissance que je suis le père d’un si digne fils doit m’être aussi précieuse qu’elle m’est chère. — Maintenant il faut vous préparer à écouter des choses qu’il ne sera pas agréable à un fils d’entendre.

— Non, cousin John ! — non, cher cousin John ! s’écria Ève en se jetant dans ses bras. Nous n’écouterons rien de semblable ; il