Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 16, 1839.djvu/48

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assez de tact et de discrétion pour saluer Steadfast comme s’il eût été entièrement étranger pour elle. John Effingham le salua avec autant de hauteur qu’on peut en montrer en saluant. Bientôt le bruit courut dans le salon que M. Dodge et lui étaient des voyageurs rivaux. L’air froid de John, et une expression de physionomie qui n’invitait pas à la familiarité, mirent presque toute la compagnie du côté de Steadfast, et il fut bientôt décidé que celui-ci avait beaucoup plus vu le monde, qu’il connaissait la société, et que d’ailleurs il avait voyagé jusqu’à Tombouctou en Afrique. La foule qui entourait M. Dodge s’accrut rapidement à mesure que ces bruits se répandaient dans les salons, et ceux qui n’avaient pas lu « les lettres délicieuses » insérées dans le « Furet Actif, » portèrent une grande envie à ceux qui avaient eu cet immense avantage.

— C’est M. Dodge, le grand voyageur, dit une jeune dame qui s’était retirée de la cohue qui l’entourait pour s’asseoir près d’Ève et de Grace, et qui était en outre un bas-bleu dans son cercle particulier ; — ses descriptions, aussi belles qu’exactes, ont fait une grande sensation en Angleterre, et l’on assure même que ses lettres y ont été réimprimées.

— Les avez-vous lues, miss Brackett ?

— Pas encore ; mais j’ai lu le compte qui en a été rendu dans le Courrier hebdomadaire de la semaine dernière. À en juger d’après ce qu’il en dit, ces lettres sont délicieuses, pleines de naturel et d’esprit, et particulièrement exactes quant aux faits. À cet égard, elles sont inappréciables ; — les voyageurs commettent des erreurs si extraordinaires !

— J’espère, Madame, dit John Effingham, que ce voyageur n’a pas commis la grande erreur de faire des commentaires sur des choses qui existent véritablement. On trouve, en général, impertinents et injustes les commentaires sur les faits qui se sont passés dans son propre pays, et le vrai moyen de réussir, c’est d’en faire avec toute liberté sur des faits imaginaires.

Miss Brackett n’eut rien à répondre à cette observation car le Courrier hebdomadaire, au milieu de ses réflexions profondes, n’avait jamais trouvé à propos de dire un mot sur ce sujet. Elle continua pourtant à faire le plus grand éloge de lettres dont elle n’avait pas lu une seule, et qu’elle n’avait pas même dessein de lire, car elle avait réussi à se faire dans sa coterie une grande réputation de goût et de connaissances en littérature en effleurant