Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 17, 1840.djvu/102

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dence, et pour rien au monde ne vous hasardez sur le rivage sans bien savoir ce que vous faites.

— Cela est-il prudent ? — s’écria Mabel avec une vivacité qui lui fit oublier la nécessité de parler bas.

— Non, certainement, si vous parlez si haut, — répondit le guide. — Après avoir été si long-temps à n’entendre que des voix d’hommes, j’aime le son de la vôtre, qui est douce et agréable ; mais il n’est pas à propos de la faire entendre trop librement en ce moment. Votre père, le brave sergent, vous dira, quand vous le verrez, que le silence est une double vertu sur une piste. Allez, Jasper, et n’oubliez pas que vous avez une réputation de prudence à soutenir.

Dix minutes d’inquiétude suivirent le départ de Jasper, qui disparut dans l’obscurité sans faire plus de bruit que s’il eût été englouti dans le courant, et avant que Mabel eût pu se persuader qu’il se hasardât seul à une entreprise que son imagination lui représentait comme particulièrement dangereuse. Pendant ce temps l’autre pirogue continua à suivre le courant sans que personne parlât, on pourrait même presque dire sans que personne respirât, tant chacun désirait entendre le moindre son qui pourrait partir du rivage. Mais il régnait toujours le même silence qu’auparavant, un silence solennel et l’on pourrait dire sublime. L’eau qui frappait contre quelques obstacles et les branches que le vent agitait, produisaient le seul bruit qui interrompît le sommeil de la forêt. Enfin on entendit encore, quoique faiblement, quelques branches sèches se briser, et Pathfinder crut entendre le son étouffé de quelques voix.

— Je puis me tromper, — dit-il, — car l’imagination se figure souvent ce que le cœur désire, mais ce son me paraît être celui de la voix du Grand-Serpent.

— Les morts reviennent-ils chez les sauvages ? — demanda Cap.

— Oui, oui, et ils chassent aussi ; mais ce n’est que dans le pays des esprits. Une peau-rouge n’a plus rien de commun avec la terre quand le souffle de la vie a abandonné son corps. Il n’est pas dans sa nature de rôder autour de son wigwam quand son heure est passée.

— Je vois quelque chose sur l’eau, — dit Mabel à voix basse ; car ses yeux n’avaient pas cessé de chercher à percer à travers l’obscurité depuis que Jasper avait disparu.