Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 17, 1840.djvu/348

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s’imagina d’abord que son oncle était entré dans le fort, et elle était au moment de descendre et de se jeter dans ses bras, quand l’idée que ce pouvait être un Iroquois qui avait fermé la porte pour empêcher les autres d’entrer, tandis qu’il pillerait à loisir, l’arrêta tout-à-coup. La profonde tranquillité qui existait au-dessous d’elle ne ressemblait guère aux brusques mouvements de Cap, et paraissait plutôt l’effet de la ruse d’un ennemi. Si c’était un ami, ce ne pouvait être que son oncle ou le quartier maître ; car notre héroïne avait alors l’affreuse conviction que ces deux hommes et elle-même composaient toute la troupe, si même les deux derniers existaient encore. Cette pensée tint Mabel en échec, et pendant plus de deux minutes le silence de la mort régna dans le bâtiment. Pendant tout ce temps, Mabel était au haut de l’échelle, appuyée sur la trappe conduisant à l’étage inférieur. Ses yeux restaient fixés sur cet endroit ; car elle s’attendait à voir paraître à chaque instant l’horrible figure d’un sauvage ; sa frayeur acquit bientôt un tel degré d’intensité qu’elle regarda autour d’elle pour chercher un refuge ; tout ce qui retardait une catastrophe qu’elle croyait inévitable était une espèce de soulagement à son angoisse. La pièce contenait plusieurs tonneaux ; deux parurent à Mabel placés d’une manière plus favorable, elle s’accroupit derrière, appliquant son œil à un intervalle par lequel elle pouvait encore surveiller la trappe. Elle fit un nouvel effort pour prier ; mais le moment était trop horrible pour que sa pensée put s’élever vers le ciel. Il lui sembla distinguer un sourd frémissement, comme si l’on montait l’échelle du premier étage avec des précautions si grandes qu’elles se trahissaient par leur propre excès. Puis elle entendit un craquement qui provenait d’une des marches de l’escalier : elle ne pouvait s’y méprendre, son poids, quoique si léger, ayant occasionné le même bruit lorsqu’elle était montée. Cet instant était un de ceux qui renferment les sensations de plusieurs années d’une existence ordinaire : vie, mort, éternité, douleurs corporelles, étaient devant elle, terribles conséquences des événements d’une seule journée. On aurait pu la prendre pour une belle et pâle image d’elle-même, privée à la fois de mouvement et de vie ; mais, malgré cette apparence de mort, on n’eût pu trouver dans la courte carrière de Mabel une seule minute où la perception de ses sens eût été plus rapide et sa sensibilité plus exquise. Rien cependant ne paraissait encore ; mais ses oreilles, que l’intensité de l’émotion