Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 17, 1840.djvu/367

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groupe de trois hommes, portant l’uniforme écarlate du 55e, assis sur l’herbe, dans des attitudes nonchalantes, comme s’ils fussent en train de causer avec la plus grande sécurité ; mais son sang se figea dans ses veines, lorsque, après un second regard, elle reconnut les visages livides et les yeux ternes de cadavres. Ils étaient très près de la forteresse, si près que les regards de la jeune fille avaient été plus loin dans leur première inspection du pays, et avaient passé, pour ainsi dire, par-dessus sans les apercevoir. Il y avait une légèreté dans leur pose et dans leurs attitudes, car leurs membres avaient été contournés, encore raides, pour imiter l’existence, ce qui révoltait d’horreur ; quelque hideux que fussent ces objets pour ceux qui les contemplaient d’assez près pour pouvoir découvrir l’effrayante contradiction entre ce qu’ils étaient réellement et ce qu’ils paraissaient être, l’arrangement avait été fait avec tant d’art, qu’il eût trompé à coup sûr un observateur indifférent, à la distance de cent pas. Après avoir examiné attentivement toutes les parties de l’île, l’Indienne montra à sa compagne le quatrième soldat, assis, les pieds pendant au-dessus de l’eau, le dos appuyé contre un jeune arbre et tenant une ligne à la main. Les têtes scalpées avaient été recouvertes de bonnets, et toute apparence de sang avait été soigneusement lavée.

Le cœur de Mabel se souleva à cette vue, qui non-seulement confondait toutes ses idées de justice humaine, mais qui était en elle-même si révoltante et si opposée aux sentiments de la nature. Elle alla s’asseoir, et cacha sa tête quelques instants dans son tablier. Un signal de sa compagne, donné à voix basse, l’appela de nouveau à une meurtrière ; Rosée-de-Juin lui montra alors le corps de Jenny, debout, devant la porte d’une hutte, se penchant en avant comme pour regarder le groupe d’hommes ; son bonnet était agité par le vent ; et elle tenait un balai à la main. La distance était trop grande pour distinguer exactement les traits du visage, mais Mabel crut s’apercevoir que les mâchoires avaient été déprimées, de manière à forcer la bouche à un horrible rire.

— Rosée-de-Juin ! — s’écria-t-elle, — cela passe tout ce que j’ai jamais entendu raconter ou imaginé possible de la trahison et des artifices de votre nation.

— Tuscarora très-rusé, dit Rosée-de-Juin d’un ton qui montrait qu’elle approuvait plutôt qu’elle ne condamnait l’usage