Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 17, 1840.djvu/375

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préparé pour l’arrivée de son père, prenant de grandes précautions pour qu’il ne fût point aperçu de l’île.

Mabel avait déjà répété huit ou dix fois son signal, et elle commençait à désespérer de se faire remarquer, lorsqu’un signe lui fut fait en retour par le mouvement d’une rame, et aussitôt un homme se découvrit, et elle reconnut Chingashgook. Enfin, elle contemplait un ami, un ami capable et sans aucun doute désireux de l’aider. À partir de ce moment son énergie et son courage se ranimèrent ; le Mohican l’avait vue et l’avait probablement reconnue, car il savait qu’elle était partie avec son père, et probablement aussi, lorsqu’il ferait entièrement nuit, il prendrait les moyens de venir à son secours. Il était certain qu’il avait connaissance de la présence de l’ennemi par toutes les précautions qu’il semblait prendre, et elle avait une confiance entière dans sa prudence et dans son habileté. La plus grande difficulté était la présence de l’Indienne, car Mabel connaissait trop bien sa fidélité à son peuple, malgré son affection pour elle, pour penser qu’elle pût consentir à ce qu’un Indien ennemi entrât dans le fort, ou à ce qu’elle en sortît dans l’intention de déjouer les plans d’Arrowhead. La demi-heure qui suivit la découverte de l’arrivée du Grand-Serpent fut la plus pénible de la vie de Mabel Dunham. Elle pouvait, pour ainsi dire, toucher de la main le but qu’elle désirait atteindre avec tant d’ardeur, et cependant il était sur le point de lui échapper : elle connaissait le sang-froid et la fermeté de Rosée-de-Juin aussi bien que sa douceur et sa sensibilité, et elle concluait, avec regret, qu’il n’y avait pas d’autre parti à prendre que de tromper sa compagne et sa protectrice. Il répugnait à une jeune fille aussi sincère que naturelle, aussi pure de cœur et aussi disposée à la franchise que Mabel, de tromper une amie éprouvée ; mais il s’agissait de la vie de son père ; sa compagne ne pouvait en rien souffrir de ses projets ; d’ailleurs elle avait elle-même des sentiments et des intérêts de nature à écarter de plus grands scrupules.

À mesure que la nuit approchait, le cœur de Mabel battait avec plus de violence, et pendant le cours d’une heure elle adopta et changea au moins une douzaine de plans. L’Indienne était toujours son plus grand embarras ; elle ne savait pas comment elle pourrait s’assurer du moment où Chingashgook serait à la porte, et elle ne doutait pas qu’il n’y vînt bientôt ; en second lieu, comment pourrait-elle l’admettre dans le fort, sans causer