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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 17, 1840.djvu/463

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Pendant quelques minutes, les deux amants restèrent assis, silencieux, attendant son retour ; incertains de ce qu’ils devaient faire dans une circonstance si importante et si particulière. Enfin ils aperçurent leur ami, s’avançant lentement vers eux d’un air pensif et même rêveur.

— Je comprends maintenant ce que vous vouliez dire, Jasper, par parler sans langue et entendre sans oreilles, dit le guide lorsqu’il fut assez près de l’arbre pour être entendu. Oui, je le comprends maintenant, et c’est une agréable conversation quand on cause ainsi avec Mabel Dunham. Ah ! j’avais dit au sergent que je n’étais pas fait pour elle ; que j’étais trop vieux, trop ignorant, trop sauvage, mais il ne voulut pas me croire.

Jasper et Mabel assis l’un près de l’autre ressemblaient à la peinture que Milton nous fait de nos premiers parents lorsque le sentiment même de leur première faute chargea leur âme d’un poids terrible. Aucun des deux ne parla, aucun des deux ne fit un mouvement, et cependant chacun d’eux pensait en ce moment qu’il pourrait renoncer à son nouveau bonheur pour rendre à son ami la paix qu’il avait perdue. Jasper était aussi pâle que la mort, mais chez Mabel une pudeur virginale avait appelé son sang sur ses joues, et leur avait donné un éclat, une richesse d’incarnat qui n’avait peut-être jamais été égalée dans ses jours de joie et d’insouciance. Comme le sentiment qui, dans son sexe, accompagne toujours la sécurité d’un amour partagé, répandait sa douceur et sa tendre expression sur son visage, elle était plus belle que jamais. Pathfinder fixa ses yeux sur elle avec une ardeur qu’il n’essaya pas de cacher, puis il se mit à rire cordialement, mais à sa manière et avec une sorte d’exaltation sauvage, ainsi que les hommes non civilisés ont l’habitude d’exprimer leur plaisir. Ce moment d’oubli fut bien expié par la pensée subite que cette jeune et belle créature était perdue pour lui à jamais, et par le désespoir muet qui suivit cette pensée. Cet être si simple d’esprit et de cœur eut besoin de plus d’une minute pour se remettre du choc de cette conviction. Puis il reprit son calme habituel, et parla d’un ton grave et presque solennel.

— J’ai toujours su, Mabel Dunham, que chaque homme a sa nature, — dit-il, — mais j’avais oublié qu’il n’était pas dans la mienne de plaire aux jeunes filles belles et savantes. J’espère que cette erreur n’est pas une grande faute ; si cela est, j’en suis cruellement puni, Mabel ; je vois ce que vous voulez dire, mais