Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/10

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nous a fait vivre au sein des premières familles de planteurs, nous a intéressés aux mille vicissitudes de cette vie en lutte perpétuelle avec la virginité de la nature. Si l’on peut ainsi s’exprimer dans les Lettres sur les États-Unis, c’est la société américaine, telle que la civilisation l’a faite ; ce ne sont plus les savanes sans bornes, les forêts séculaires, « les immenses ombres de ces forêts dont l’ombre est éternelle, » les fleuves et les lacs pareils à des mers ; c’est la cité qu’il nous peint ; c’est le positif des mœurs, des habitudes sociales, de la vie intérieure et publique de ses compatriotes. Tout ce dont nous avions été jusque-là si mal informés par les observations superficielles ou haineuses des voyageurs fashionables, ou par le peu de pénétration des voyageurs purement mercantiles, trop absorbés dans les spéculations de leur commerce pour bien voir, il nous l’apprend. Le romancier s’efface pour faire place au philosophe et au statisticien. Et ne croyez pas que, malgré son incontestable patriotisme, qui va en certains points jusqu’à l’enthousiasme, il se laisse entraîner au-delà de la vérité ; non, il est trop observateur impartial et profond pour cela. Son affection bien sentie pour son pays, la conviction où il est, et qu’il manifeste incessamment, de la supériorité de ses institutions politiques sur celles de l’Europe, naissent de la valeur même des objets et doivent être attribuées plutôt à l’observation qu’au patriotisme. Cooper, doué comme il l’est a un éminent degré de la faculté de comparer, et ayant vécu longtemps en Europe, connaît trop bien tout ce qu’il y a d’excellent dans la civilisation des peuples de ce continent pour la sacrifier à sa prévention favorable pour son pays. Malgré donc sa qualité d’Américain, sa loyauté bien connue et son haut jugement le rendent en ceci tout à fait croyable. La rigidité même de son examen n’en est pas altérée ; il va rigoureusement au fond des choses, et n’en dissimule pas les mauvais côtés. Les Lettres sur les États-Unis sont donc, à une foule d’égards, un précieux ouvrage, plein d’aperçus curieux et instructifs, et qui, selon nous, mériterait d’être plus généralement connu et apprécié. La tâche si dignement remplie par MM. Michel Chevalier, Aleus de Tocqueville, Gustave de Beaumont et le major J.-T. Poussin, a été ainsi commencée par Cooper. — Hors du domaine du roman on a encore de Cooper une Lettre au général Lafayette, écrite à propos de la discussion suscitée par M. Saulnier fils, préfet du Loiret et directeur de la Revue britannique, au sujet des finances des États-Unis, discussion à laquelle prit part la presse française tout entière. Cette lettre, publiée chez Baudry en 1831, n’a pas été traduite ; Cooper était alors à Paris. — Nous avons, à cette époque, et précédemment en Italie, eu l’occasion de voir plusieurs fois M. Cooper. Durant son séjour à Paris, l’un des salons où il était le plus assidu était celui de son illustre ami le général Lafayette. L’écrivain américain professait pour le vieux défenseur de son pays un respect mêlé de tendresse, qu’aucun mot de notre langue ne saurait exprimer. Le mot manque en effet, qui rendrait tout le respect à la fois, et toute la tendre affection qu’inspirait le vieux général au brillant écrivain dont