Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/12

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le développement successif et passionné que comporte le roman, les origines, les usages et les mœurs d’autrefois de sa nation ; mais c’est dans une autre sphère d’idées et d’opinions que se complaît son esprit. Cela perce plus d’une fois dans ses romans. En un mot, Cooper est démocrate et républicain, et Walter Scott était tory et fort attaché aux traditions et aux préjugés de la vieille aristocratie des trois royaumes. Selon Cooper, en effet, les grands sont un luxe coûteux et les rois une superfluité brillante. Il a foi aux gouvernements à bon marché, et ne croit pas que la philosophie et la raison sanctionnent l’emploi de ces ornements magnifiques dont l’édifice de nos sociétés se couronne. On sait ce que pensait Walter Scott sur tout cela. Aussi Cooper ne ressemble-t-il à Walter Scott (comme les deux sœurs dont parle Ovide se ressemblaient, facies non omnibus una, nec diversa tamen) que quant à ses procédés d’artiste. Son style est grave et simple, son récit attachant au plus haut degré ; plus positif, quoique non moins poétique, il rend avec des couleurs toutes puissantes d’effet, au-delà desquelles il n’y a rien, la nature physique et les grands phénomènes de la mer et du ciel. Par ce côté il est au moins l’égal des plus grands maîtres. La forte compréhension de l’homme et des passions ne lui manque pas non plus ; mais, sous ce rapport, il a un rival plus heureux et plus fécond, sinon supérieur, dans l’auteur d’Ivanhoé ; quelques autres romanciers même le valent en cette partie ; mais, dès qu’il s’agit de la nature, et de la nature américaine, il est maître de vous, il est le premier. C’est à l’image de l’Amérique qu’est fait le génie de Cooper ; c’est comme elle qu’il est original et grand. Voyez comme il la peint sous toutes ses faces. C’est à lui que vous devez de la connaître à fond ; sans lui, malgré tous les récits des géographes et des voyageurs, vous ne l’auriez pas vue, vous en auriez à peine une idée superficielle et vague. Avec lui, au contraire, on ne peut trop le redire, vous savez tout de ces jeunes sociétés encore en travail d’avenir, ce qu’elles ont été et ce qu’elles sont ; il vous initie à tous les secrets de cette civilisation qui s’avance et qui conquiert pied à pied sur l’Indien, avec une infatigable persévérance, l’immensité des plaines, des fleuves et des forêts, et assied des cités populeuses et florissantes, là où quelques années auparavant s’élevaient les huttes et les vigwams du sauvage. — À lui seul aussi appartient la gloire d’avoir doté l’Amérique d’une littérature, et il est aujourd’hui le premier et le seul digne représentant de cette littérature, maintenant qu’il est bien reconnu que Washington Irving n’a été que le pâle imitateur d’Addison et de Steele, écrivain faible d’ailleurs, plus Anglais à beaucoup près qu’Américain. La littérature des États-Unis commence donc en Cooper. Cette gloire lui restera ; gloire véritablement à part, d’initiateur et de poëte.

Ch. Romey.