Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/123

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tune ait été bien mal administrée pendant ma minorité, si elle ne nous permet pas d’en avoir deux. Je ne suis pas sujet de Ferdinand, je suis serviteur de la branche aînée de la maison de Transtamare, et le froid jugement du roi n’aura aucune influence sur moi.

— C’est parler avec générosité, et ces sentiments sont ceux qui conviennent à un esprit jeune, noble et entreprenant ; mais votre offre ne peut être acceptée. Il ne siérait pas à Colomb de se servir de l’or offert par un cœur si confiant et par une tête si inexpérimentée. Mais des obstacles plus grands encore s’y opposent. Il faut que mon entreprise ait l’appui de quelque puissant prince. Guzman lui-même n’a pas cru avoir une autorité suffisante pour se charger d’un si vaste projet. Si nous faisions nos découvertes sans la sanction d’un grand monarque, nous aurions travaillé pour les autres ; nous n’aurions aucune garantie pour nous-mêmes ; le Portugal ou quelque autre puissance nous ravirait tout le fruit de notre entreprise. Je sens que je suis destiné à cette grande œuvre ; mais elle doit être faite d’une manière convenable à la majesté de la pensée qui l’inspira, et à la grandeur du sujet. — Mais ici, don Luis, il faut nous séparer. Si mes sollicitations réussissent à la cour de France, vous recevrez de mes nouvelles, car je ne demande pas mieux que d’avoir pour soutenir mon entreprise, un cœur et des bras comme les vôtres. Cependant vous ne devez pas nuire inconsidérément à votre fortune, et je suis aujourd’hui un homme disgracié en Castille. Il peut vous être désavantageux qu’on sache que vous avez encore quelques rapports avec moi. Je vous le répète donc, il faut nous séparer ici.

Luis protesta qu’il était parfaitement indifférent à tout ce qu’on pourrait penser de lui ; mais Colomb avait plus d’expérience, et quoiqu’il s’élevât si haut au-dessus des clameurs populaires en ce qui le concernait personnellement, il éprouvait une généreuse répugnance à souffrir que ce jeune homme plein de confiance sacrifiât ses espérances à son amitié pour lui. Ils se firent l’un à l’autre l’adieu le plus cordial, et le navigateur fut touché au fond du cœur en voyant l’émotion sincère dont le jeune homme ne put se défendre en le quittant. Ils se séparèrent à environ un demie-lieue de la ville, et chacun deux marcha dans une direction opposée ; le cœur de don Luis rempli d’indignation en songeant à la manière indigne dont son nouvel ami avait été traité, comme il n’avait que trop de raisons de le penser.