Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/143

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pour arriver aux Indes. N’est-ce pas une honte pour la chrétienté, de souffrir que le musulman élève ses autels profanes sur la partie de la terre que Jésus-Christ a sanctifiée par sa présence, où il est né, et où ses restes ont été déposés jusqu’à sa résurrection glorieuse ? Bien des cœurs, bien des glaives sont prêts à venger cet outrage ; il ne manque que de l’or. Si le premier désir de mon cœur est de devenir instrument du ciel pour ouvrir la route des Indes par une voie directe à l’ouest, le second est de voir les richesses qui suivront certainement cette découverte, employées au service de Dieu en relevant ses autels et en faisant revivre son culte dans les lieux où il a supporté une douloureuse agonie et rendu le dernier soupir pour racheter les péchés des hommes.

Isabelle sourit de l’enthousiasmee du navigateur ; mais, pour dire la vérité, les sentiments qu’il exprimait trouvaient un écho dans son cœur, quoique le siècle des croisades fût passé. Il n’en était pas tout à fait de même de Ferdinand. Il sourit aussi, mais le feu d’un saint zèle ne s’alluma pas dans son sein. Au contraire, il douta fort qu’il fût sage de confier deux misérables caravelles et la modique somme de trois mille couronnes à un visionnaire qui, commençant à peine une entreprise dont le résultat paraissait plus que douteux, laissait s’égarer ses pensées vers une autre tentative dans laquelle, à plusieurs reprises, avaient échoué les efforts réunis et la pieuse constance de l’Europe entière. La découverte d’une route aux Indes par l’ouest, et la conquête du Saint-Sépulcre, étaient à ses yeux deux tentatives également problématiques ; et croire à la possibilité de l’une ou de l’autre aurait suffi pour éveiller sa méfiance. Il avait pourtant sous les yeux un homme qui allait s’embarquer pour exécuter la première de ces deux entreprises, et qui gardait la seconde en réserve, comme devant être la conséquence du succès de l’autre.

Pendant quelques minutes, Ferdinand songea sérieusement à déjouer les projets du Génois ; et si la conversation se fût terminée en ce moment, on ne saurait dire jusqu’à quel point sa politique froide et calculatrice aurait pu l’emporter sur la bonne foi, l’intégrité sincère et l’enthousiasme nouvellement éveillé de son épouse.

Heureusement l’entretien avait continué pendant qu’il méditait profondément sur ce sujet, et quand il rejoignit le petit cercle, il trouva la reine et le navigateur discutant le grand projet