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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/157

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ponsabilité pesait sur elle, qui était exposée au soupçon de chercher à augmenter les richesses de sa famille et à la fortifier par une alliance avec une maison puissante, en favorisant l’union de son neveu avec sa pupille. Cependant tout désir d’Isabelle était une loi pour doña Béatrix, et elle ne tarda pas à informer Mercédès de son intention de permettre, pour une fois, à son neveu, de plaider sa cause devant elle avant de partir pour une entreprise incertaine et dangereuse.

Notre héroïne apprit cette nouvelle avec ces émotions, mélange de joie et de crainte, d’espoir et de pressentiments fâcheux, qu’on trouve si souvent dans le cœur d’une femme quand des sentiments nouveaux pour elle viennent se mêler à la passion dominatrice. Elle n’avait jamais cru possible que Luis partît pour une expédition du genre de celle qui allait avoir lieu sans faire tous ses efforts pour la voir seul à seule ; mais à présent qu’elle était assurée que la reine et sa tutrice consentaient à cette entrevue, elle regrettait presque quelles y eussent donné leur approbation. Ces émotions contradictoires firent pourtant bientôt place à une douce mélancolie qui s’empara d’elle de plus en plus, à mesure que le moment du départ de don Luis approchait. Ses pensées relativement à l’empressement que Luis avait montré pour faire partie de l’expédition n’étaient pas plus d’accord entre elles. Tantôt elle se félicitait de la noble résolution de son amant et de son dévouement à la gloire de Dieu et aux intérêts de l’Église, songeant avec fierté que, parmi la haute noblesse de Castille, il était le seul qui eût voulu risquer sa vie et braver les sarcasmes en accompagnant le Génois ; tantôt, tourmentée d’inquiétudes, elle craignait que le désir de courir le monde et de chercher les aventures n’eût autant d’empire sur son cœur que son amour pour elle. Il n’y avait rien de bien nouveau dans tout cela : plus les sentiments de ceux qui se soumettent véritablement à l’influence de l’amour sont purs et ingénus, plus leur méfiance devient active, et plus leurs pressentiments les tourmentent.

— Ayant une fois pris son parti, doña Béatrix agit loyalement avec les deux amants. Sitôt que don Luis parut devant elle, le matin du jour fixé pour son départ, elle lui dit que Mercédès l’attendait dans le salon qui faisait partie de l’appartement que sa pupille occupait chez elle. Prenant à peine le temps de baiser la main de sa tante et de lui donner les autres marques de respect que la coutume de ce siècle exigeait des jeunes gens à l’égard des