Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/165

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ne lui peignait que malheurs, tantôt il se figurait un paradis sur la terre. Mercédès se montra enthousiaste, généreuse, et unissant à un dévouement sans bornes les principes les plus élevés et un oubli complet d’elle-même : écoutant avec une tendresse qui semblait concentrer tout son être dans son amour les vœux ardents que lui exprimait son amant, elle repoussait ses protestations avec la réserve de son âge et la dignité de son sexe quand elles devenaient exagérées ou indiscrètes.

Cette entrevue dura une heure, et il est inutile de dire combien de promesses de constance furent échangés, et combien de fois furent répétées celles de n’avoir jamais d’autre époux ou d’autre épouse. Lorsque le moment où ils devaient se séparer approcha, Mercédès ouvrit un coffret qui contenait ses bijoux, et en choisit un qu’elle offrit à son amant comme un gage de sa foi.

— Je ne vous donnerai pas un gant pour le porter sur votre casque dans les tournois, Luis, dit-elle, mais je vous offre ce symbole sacré qui pourra vous rappeler en même temps le grand but que vous avez aujourd’hui sous les yeux, et celle qui attendra le résultat de votre voyage avec une inquiétude presque aussi vive que celle que ressent Colon lui-même. Vous n’aurez pas besoin d’autre crucifix auquel vous adressiez vos prières, et ces pierres sont des saphirs, qui, comme vous le savez, sont un emblème de fidélité, — sentiment qui doit toujours vivre dans votre cœur, en tant qu’il a rapport à votre bonheur éternel, et que je ne serais pas fâchée d’y savoir également lorsque vous penserez à celle qui vous a donné cette bagatelle.

Elle prononça ces mots d’un ton moitié mélancolique, moitié enjoué ; car, à l’instant de se séparer de son amant, Mercédès sentait déjà le chagrin peser lourdement sur son cœur ; mais le sentiment auquel elle venait de faire allusion lui donnait une telle force, qu’elle avait presque le sourire sur les lèvres : sa voix avait cet accent séducteur qui se trouve chez la jeunesse quand elle avoue ses tendres émotions et que son cœur est accablé par des pensées d’absence et de danger. Son présent, la petite croix en saphirs, était d’une grande valeur, mais non moins précieux encore par l’intention et le caractère de celle qui l’offrait.

— Vous avez eu soin de mon âme en me faisant un pareil don, Mercédès, dit Luis en souriant, après avoir baisé la petite croix à plusieurs reprises ; vous avez voulu que, si le souverain du Cathay refuse de se convertir à notre foi, nous ne nous laissions