Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/262

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volonté pour forcer les fonctions animales à obéir à ses ordres ; cependant il en sortait régulièrement à courts intervalles, afin d’examiner le temps et la position de ses bâtiments. En cette occasion, l’amiral était sur le pont un peu après une heure du matin, et tout y semblait plongé dans ce calme complet qui sur mer caractérise le quart de nuit par un beau temps. La plupart des hommes qui étaient sur le pont sommeillaient ; la tête du pilote tombait sur sa poitrine ; le timonier et une couple de vigies étaient seuls debout et éveillés. Le vent avait fraîchi, et la caravelle avançait rapidement, laissant de plus en plus loin derrière elle l’île de Fer et ses dangers. Ou n’entendait d’autre bruit que celui du vent qui soupirait entre les cordages, de l’eau qui battait les flancs du navire, et de temps à autre le craquement d’une vergue, à mesure que le vent, qui prenait plus d’intensité, sifflait avec plus de force dans le gréement.

La nuit était obscure, et il fallut un moment pour que l’œil de l’amiral pût distinguer les objets à une lueur si douteuse. La première chose qu’il remarqua ensuite fut que son bâtiment n’était pas au plus près du vent, comme il l’avait ordonné. S’étant approché du gouvernail, il s’aperçut qu’on s’était tellement écarté de la route, qu’on portait le cap au nord-est, ce qui était, dans le fait, la direction de l’Espagne.

— Vous êtes un marin, et c’est ainsi que vous gouvernez à la route qui vous a été donnée ? s’écria l’amiral d’un ton sévère, en s’adressant au timonier. N’es-tu donc qu’un muletier qui s’imagine suivre un sentier circulant dans les montagnes ? Ton cœur est en Espagne et tu t’imagines, par ce sot artifice, donner quelque pâture à ton vain désir d’y retourner.

— Hélas ! señor amirauté, Votre Excellence ne se trompe pas en croyant que mon cœur est en Espagne, et il doit y être puisque j’ai laissé derrière moi, à Moguer, sept enfants qui n’ont plus de mère.

— Ne sais-tu pas, drôle, que moi aussi je suis père, et que moi aussi j’ai laissé derrière moi le plus cher objet des espérances d’un père ? En quoi donc diffères-tu de moi, puisque mon fils se trouve également privé des soins d’une mère ?

— Il est fils d’un amiral, Votre Excellence, au lieu que mes enfants n’ont pour père qu’un timonier.

— Et qu’importe à don Diego, dit Colomb, qui aimait à appuyer sur les honneurs qu’il avait reçus des deux souverains,