Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/270

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reste de l’Europe et de la civilisation disparut aux yeux de nos marins, diminuant graduellement d’élévation, et ne paraissant plus enfin que comme des fils déliés qui offraient encore la forme de l’emblème respecté du christianisme.

Après ce petit incident, la route des trois bâtiments, pendant deux jours et deux nuits, ne fut interrompue par aucun événement qui mérite d’être rapporté. Pendant tout ce temps, le vent était favorable et nos aventuriers s’avançaient en droite ligne vers l’ouest, d’après la boussole, ce qui, par le fait, était pourtant dévier un peu au nord de la direction qu’ils voulaient suivre, vérité à laquelle les connaissances de cette époque n’étaient pas encore arrivées. Entre la matinée du 10 septembre et la soirée du 13, la flotte avait fait près de quatre-vingt-dix lieues en ligne presque directe sur le grand Océan, et se trouvait par conséquent aussi loin, sinon plus loin, à l’ouest, que la position des Açores, qui étaient alors les terres les plus occidentales connues des navigateurs européens. Le 13, on rencontra des courants contraires, et comme ils portaient au sud-est, ce qui tendait à faire dériver les bâtiments vers le sud, ceux-ci approchaient successivement de la lisière septentrionale des vents alisés.

L’amiral et Luis étaient à leur poste ordinaire, sur la dunette, dans la soirée du 13, à l’instant où Sancho quittait le gouvernail, son quart venant de finir. Au lieu de se rendre sur l’avant pour rejoindre les autres matelots, il hésita, leva les yeux vers la dunette comme s’il eût eu le désir d’y monter ; voyant que l’amiral y était seul avec Luis, il y monta enfin, de l’air d’un homme qui désire annoncer quelque chose.

— Que me veux-tu, Sancho ? lui demanda l’amiral après s’être assuré que personne ne pouvait les entendre ; parle librement, je t’ai donné ma confiance.

— Señor don amirante, Votre Excellence sait fort bien que je ne suis pas un poisson d’eau douce pour que la vue d’un requin ou d’une baleine me fasse peur, ni un homme à m’effrayer parce qu’un bâtiment fait route à l’ouest plutôt qu’à l’est ; et cependant je viens vous dire que ce voyage ne se fait pas sans signes merveilleux qu’il peut être convenable qu’un marin respecte comme extraordinaires, sinon comme de mauvais augure.

— Comme tu le dis, Sancho, tu n’es pas un fou qui se laisserait épouvanter par le vol d’un oiseau, ou par la vue d’un mât flottant sur l’eau, et tu éveilles en moi la curiosité d’en savoir davantage.