Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/271

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Le señor de Muños est mon secrétaire confidentiel, et je n’ai rien à lui cacher. Parle donc librement et sans aucun délai. Si l’or est ton but, tu en auras, sois-en assuré.

— Non, Señor. Ma nouvelle ne vaut pas un maravedi, ou l’or ne peut la payer. Quoi qu’il en soit, Votre Excellence peut la savoir, et ne pas s’inquiéter du paiement. — Vous savez que nous autres vieux marins nous avons nos pensées, quand nous sommes au gouvernail. Tantôt nous pensons au sourire, à la bonne mine d’une drôlesse que nous avons laissée à terre, tantôt à la saveur d’une épaule de mouton rôtie, et quelquefois aussi, par grand hasard, à nos péchés.

— Je sais parfaitement tout cela ; mais ce n’est pas de pareilles choses qu’il convient d’entretenir un amiral.

— Je n’en sais rien, Señor. J’ai connu des amiraux qui mangeaient du mouton avec plaisir après une longue croisière ; et qui, s’ils ne songeaient pas alors à leurs péchés, faisaient bien pire encore en ajoutant un item au grand compte qu’ils avaient à rendre. Or, il y avait…

— Permettez-moi de jeter ce vagabond par-dessus le bord, don Christophe, s’écria Luis avec impatience, en faisant un mouvement comme pour exécuter cette menace. Mais la main de Colomb l’ayant arrêté, il ajouta : Tant qu’il restera sur notre bord, nous n’entendrons jamais une histoire commencer par le commencement.

— Je vous remercie, comte de Llera, répondit Sancho avec un sourire ironique ; si vous vous entendez à noyer les marins aussi bien qu’à désarçonner des chevaliers chrétiens dans un tournoi, ou à pourfendre des infidèles sur un champ de bataille, j’aimerais mieux que tout autre se chargeât de mes bains.

— Tu me connais donc, drôle ? — Tu m’as vu dans quelqu’un de mes précédents voyages sur mer ?

— Un chat peut regarder un roi, señor comte ; pourquoi un marin ne pourrait-il pas regarder un passager ? Mais épargnez-vous ces menaces ; votre secret est en mains sûres. Si nous arrivons au Cathay, aucun de nous ne sera honteux d’avoir fait ce voyage ; et si nous n’y arrivons pas, il est probable qu’aucun de nous n’ira raconter en Espagne comment le señor amirante a été noyé, ou est mort de faim ; en un mot, de quelle manière précise il est allé reposer dans le sein d’Abraham.

— En voilà assez ! dit Colomb d’un ton sévère. Raconte ce que