Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/347

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royaume du Grand-Khan, ils se trouvaient du moins presque sur ses frontières. Dans de telles circonstances, chaque jour produisant quelque chose de nouveau et promettant plus encore, peu de ces gens songeaient à l’Espagne, si ce n’est pourtant lorsque que l’idée de la gloire d’y rentrer en triomphe venait se présenter à leur imagination. Luis lui-même pensait moins constamment à Mercédès, et, malgré sa beauté, il permettait que la vue des choses extraordinaires qui se présentaient à chaque instant à ses yeux remplaçât momentanément son image. Il est vrai qu’à l’exception d’un sol fertile et d’un climat délicieux, le pays n’offrait rien qui pût réaliser les brillantes espérances de nos aventuriers, quant aux avantages pécuniaires qu’ils avaient en vue.

Mais l’espoir ne cessait de régner dans leur cœur ; et personne ne savait ce que le lendemain pourrait amener. Deux agents furent enfin envoyés dans l’intérieur pour y faire des découvertes, et Colomb profita de ce moment pour radouber ses bâtiments. À l’époque où l’on attendait leur retour, Luis partit avec un détachement d’hommes armés pour aller à leur rencontre : Sancho en faisait partie. On les rencontra à une journée de marche des caravelles, accompagnés de quelques-uns des naturels du pays, qui les suivaient par curiosité, s’attendant à chaque instant à voir ces inconnus prendre leur vol vers le ciel. Quand les deux troupes se furent rejointes, on fit une courte halte pour se reposer, et Sancho ne craignant pas plus le danger sur terre que sur mer, entra dans un village qui était à quelques pas. Là, il chercha par gestes à se concilier autant que possible l’esprit des habitants, et figura avec le même avantage qu’un grand homme de la ville figure dans un hameau. Depuis quelques minutes seulement il était à se donner des airs parmi ces enfants de la nature, quand ils parurent désirer lui donner quelque marque de distinction particulière. Un homme s’avança vers lui, tenant en main quelques feuilles sèches et noirâtres, et les lui offrit avec le même air de politesse qu’un Turc offrirait ses conserves ou un Américain son gâteau. Sancho allait accepter ce présent, quoiqu’il eût beaucoup mieux aimé un doublon, il n’en avait pas vu depuis le dernier qu’il avait reçu de l’amiral, — quand plusieurs naturels de Cuba firent un mouvement en avant, en prononçant humblement, mais avec emphase ; le mot — tabac. — Aussitôt celui qui présentait l’offrande se retira en arrière, répéta le même mot du ton d’un homme qui