Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/38

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

elle parut réfléchir profondément, elle ajouta d’un ton plus grave, quoique la modestie qui brillait sur ses joues animées, et la sensibilité que ses yeux exprimaient, la trahissent, en faisant voir qu’en ce moment elle était émue par les sentiments d’une femme plutôt que par ceux d’une princesse destinée à porter une couronne et qui n’est occupée que du bonheur de ses sujets futurs :

— À mesure que l’instant de cette entrevue s’approche, j’éprouve un embarras dont je n’aurais pas cru qu’une infante de Castille pût être susceptible ; et j’avouerai, à toi, ma fidèle Béatrix, que, si le roi de Sicile était aussi vieux que don Alphonse de Portugal, ou aussi efféminé que M. de Guyenne, — en un mot, s’il était moins jeune et moins aimable, je me sentirais moins embarrassée au moment de le voir.

— Cela est fort étrange, Señora ! moi, j’avouerai que je ne voudrais pas rabattre une seule heure de la vie de don Andrès, qui, telle quelle est, a déjà été suffisamment longue ; — pas une seule des grâces de son extérieur, si l’honnête chevalier peut se vanter d’en posséder quelques-unes ; pas une seule de ses perfections physiques ou morales.

— Nous ne sommes pas dans la même position, Béatrix. Tu connais le marquis de Moya ; tu as écouté ses discours ; tu es habituée à ses louanges et à son admiration.

— Bienheureux saint Jacques ! ne craignez rien d’un manque d’expérience dans ce genre d’affaires, Señora ; car, de toutes les sciences, celle qu’on apprend le plus facilement, c’est d’aimer les louanges et l’admiration.

— Cela est vrai, ma fille, — car Isabelle, quoique la plus jeune, appelait souvent ainsi son amie ; et même plus tard, quand elle fut devenue reine, elle continua à employer, en lui parlant, ce terme d’affection : — cela est vrai, quand les louanges et l’admiration sont accordées avec franchise et véritablement méritées ; mais je n’ose croire que j’aie des droits bien fondées à cet égard, et je ne suis pas sûre des sentiments qu’éprouvera don Ferdinand en me voyant pour la première fois. Je sais, — je suis même certaine qu’il est plein de grâce, noble, vaillant, bon, généreux, bien fait, strict à remplir les devoirs de notre sainte religion, aussi illustre par ses belles qualités que par sa naissance, et je tremble en songeant combien je suis indigne d’être son épouse.

— Justice du ciel ! — Je voudrais bien voir l’impudent noble d’Aragon qui oserait donner à entendre une pareille chose ! —