Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/424

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Génois et ses principaux compagnons sont aujourd’hui entre les mains de tout ce qu’il y a de plus illustre à la cour ; mais voici un digne pilote, qui occupait sans doute le second rang à bord d’une des caravelles, et qui a bien voulu nous faire l’honneur de partager notre repas. Mon invitation a obtenu la préférence sur une foule d’autres, mais je n’ai pas encore en le temps de lui demander son nom ; je vais donc le prier de nous le faire connaître.

Sancho ne manquait jamais de présence d’esprit, et avait trop de bon sens pour être jamais, de propos délibéré, grossier ou vulgaire, en un mot pour avoir des manières offensantes ; toutefois mes lecteurs me dispenseront sans doute d’ajouter que le digne timonier n’était pas fait pour être académicien, et que ses connaissances philosophiques avaient fort peu de profondeur. Il prit un air de dignité convenable, et les mille questions auxquelles il avait eu à répondre depuis un mois lui ayant donné de l’expérience, il se disposa à faire honneur aux connaissances d’un homme qui avait été aux Indes.

— Señores, dit-il, on m’appelle Sancho Mundo, à votre service, — quelquefois Sancho de la Porte du Chantier, — mais je préférerais aujourd’hui qu’on m’appelât Sancho des Indes, à moins qu’il ne convînt à Son Excellence don Christophe de prendre ce surnom, auquel il a des droits un peu mieux fondés que les miens.

Plusieurs voix s’élevèrent pour protester que les droits qu’il y avait lui-même étaient du premier ordre, et l’on présenta ensuite à Sancho de la Porte du Chantier plusieurs jeunes gens des premières familles d’Espagne ; car, quoique les Espagnols n’aient pas la même manie que les Américains pour ce genre de politesse, l’esprit du jour avait pris l’ascendant sur leur réserve habituelle. Après ce cérémonial, et quand les Mendozas, les Guzmans, les Cerdas et les Tolédos, qui étaient de la compagnie, eurent eu l’honneur de se faire connaître à un simple matelot, on se rendit dans la salle du banquet, où la table était servie de manière à faire honneur aux cuisiniers de Barcelone. Pendant le repas, la curiosité des jeunes gens l’emporta quelquefois sur leur savoir-vivre ; mais leurs questions n’eurent aucune prise sur Sancho, tant il était absorbé par l’importance de l’affaire dont il s’occupait en ce moment, affaire qui lui inspirait une sorte de vénération religieuse. Se trouvant enfin pressé plus vivement que jamais,