Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/452

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Isabelle fit un pas ou deux à la rencontre de l’amiral ; et quand il voulut fléchir le genou devant elle, elle l’en empêcha en lui présentant sa main à baiser, et en lui disant :

— Non, señor amiral, non. Ce genre d’hommage ne convient ni à votre haut rang, ni aux services éminents que vous nous avez rendus. Si nous sommes vos souverains, nous sommes aussi vos amis. Je crains que le señor cardinal ne me pardonne pas aisément de l’avoir privé de votre compagnie plus tôt qu’il ne s’y attendait probablement.

— Son Éminence et toute sa société, Señora, ont devant eux de quoi s’occuper quelque temps, répondit Colomb en souriant, quoique sans s’écarter beaucoup de sa gravité habituelle, et ils s’apercevront moins de mon absence en ce moment qu’en tout autre. Mais, dût-il en être autrement, ce jeune comte et moi nous serions prêts à quitter un banquet plus brillant encore, pour nous rendre aux ordres de Votre Altesse.

— Je n’en doute pas, Señor ; mais j’ai désiré vous voir ce soir pour une affaire privée plutôt que d’intérêt public. Doña Béatrix que voici m’a appris la présence à ma cour et l’histoire de cette belle créature, qui donne une idée si élevée de vos vastes découvertes, que je suis surprise qu’on l’ait tenue cachée un seul instant. Connaissez-vous son rang, don Christophe, et les circonstances qui l’ont amenée en Espagne ?

— Oui, Señora, je connais tout cela, partie par mes propres observations, partie d’après ce que m’en a dit don Luis de Bobadilla. Je regarde le rang de la doña Ozéma comme inférieur à la dignité royale, et comme supérieur à la noblesse, si nous pouvons nous figurer une condition mitoyenne entre les deux. Il faut pourtant toujours se rappeler que l’île d’Haïti n’est pas la Castille, l’une étant plongée dans les ténèbres du paganisme, et l’autre éclairée des lumières de l’Église et de la civilisation.

— Néanmoins, don Christophe, un rang est un rang, et les droits de la naissance ne doivent rien perdre par suite d’un changement de pays. Quoiqu’il ait déjà plu et qu’il doive plaire davantage encore au chef de l’Église de nous accorder des droits, comme princes chrétiens, sur ces caciques des Indes, il n’y a rien de nouveau ni d’inusité dans ce fait. Les rapports entre un suzerain et ses vassaux sont anciens et bien établis, et de nombreux exemples prouvent que de puissants monarques ont possédé certaines parties de leurs domaines à titre de vassaux, tandis qu’ils