Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/57

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d’entrer dans la ville conquise avant que le symbole du christianisme eût remplacé les bannières de Mahomet, et qui s’était placé à quelque distance des portes avec une affectation d’humilité qui était parfaitement d’accord avec le fanatisme particulier de cette époque. Comme l’entrevue qui eut lieu entre eux a été souvent décrite, et deux fois tout récemment par des écrivains anglais distingués, il est inutile de nous étendre sur ce sujet. Abdallah se rendit ensuite en présence d’Isabelle, dont l’âme plus pure et pleine de douceur lui fit un accueil qui sentait moins l’affectation du christianisme, mais qui respirait davantage la charité réelle et la compassion véritable du chrétien. Il se mit alors en marche vers ce défilé des montagnes qui a été célèbre depuis ce temps comme étant le point d’où il vit pour la dernière fois les palais et les tours de ses ancêtres, ce qui lui fit donner le nom touchant et poétique de El Ultimo suspiro del Moro, ou le Dernier soupir du Maure.

Quoique le passage du dernier roi de Grenade n’eût souffert aucun délai, il prit pourtant quelque temps. Une foule immense eut donc le loisir de couvrir les grands chemins et les champs voisins de la ville, et tous les yeux étaient fixés sur les tours de l’Alhambra, où tous les bons catholiques, témoins du triomphe de leur religion, attendaient avec impatience le moment de voir paraître le signe de prise de possession.

Isabelle, qui avait fait de cette conquête un des articles de son traité de mariage, et dont cette victoire était réellement l’ouvrage, s’abstint, avec sa modestie naturelle, de se mettre en avant en cette occasion. Elle s’était placée à quelque distance en arrière de la position prise par Ferdinand. Cependant, à moins qu’on n’en excepte les tours si longtemps convoitées de l’Alhambra, elle était le point central d’attraction. Sa mise était d’une magnificence vraiment royale, comme l’exigeait une circonstance si glorieuse ; sa beauté la rendait toujours un objet d’admiration ; sa douceur, sa justice inflexible, sa véracité imperturbable, avaient gagné tous les cœurs : et elle était par le fait la personne qui devait profiter le plus de la victoire, car le royaume de Grenade était annexé à la Castille et non à l’Aragon, ce pays n’ayant point ou presque point de territoire qui y fût limitrophe.

Avant l’arrivée d’Abdallah, la foule courait à son gré de côté et d’autre, un grand nombre d’habitants des environs étant accourus courus dans le camp pour voir l’entrée triomphale dans la ville.