Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/69

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quitté sa carrière chevaleresque pour en suivre une qui est si peu d’accord avec son éducation et sa naissance.

— Vous traitez ce jeune homme avec une sévérité qu’il ne mérite pas, mon père. On ne peut dire que celui qui passe sa vie sur l’Océan, l’emploie d’une manière ignoble ou inutile. Si Dieu a séparé différents pays par de vastes masses d’eau, ce n’est pas dans le dessein d’en rendre les habitants étrangers les uns aux autres ; c’est sans doute pour qu’ils pussent se rencontrer au milieu des merveilles dont il a paré l’océan, et glorifier d’autant plus son nom et sa puissance. Nous avons tous nos moments d’irréflexion dans notre jeunesse, époque où nous suivons nos impulsions plutôt que notre raison ; et comme j’avoue que j’ai eu les miens, je suis peu disposé à faire un sujet de reproche au señor don Luis d’avoir eu aussi les siens.

— Vous avez probablement combattu les infidèles sur mer, señor Colon ? demanda Luis, ne sachant trop comment en venir au sujet qu’il désirait.

— Oui, mon fils. — Ce ton de familiarité fit tressaillir le jeune seigneur, mais il ne pouvait s’en offenser. — Oui, et sur terre aussi. J’ai vu le temps où j’avais du plaisir à raconter les périls que j’ai courus tant dans la guerre que dans les tempêtes, — et ils ont été nombreux, — et la manière dont j’y ai échappé. Mais depuis que la puissance de Dieu m’a inspiré de plus grandes choses, pour que sa volonté soit faite et que sa parole se répande sur toute la terre, ma mémoire cesse d’y songer. — Le père Pédro fit un signe croix, et don Luis sourit en levant les épaules, en homme qui entend un propos qui lui paraît extravagant ; mais le navigateur continua avec le ton grave et sérieux qui semblait faire partie de son caractère : — Bien des années se sont écoulées depuis que j’ai pris part au combat remarquable que soutint mon parent Colombo le jeune, comme on l’appelait pour le distinguer de son oncle, l’ancien amiral du même nom, combat qui eut lieu un peu au nord du cap Saint-Vincent. Les ennemis que nous avions à combattre en cette occasion étaient des Vénitiens, dont les bâtiments étaient richement chargés. L’action dura depuis le matin jusqu’au soir, et cependant Dieu permit que je ne reçusse pas une seule blessure. Une autre fois, la galère à bord de laquelle je combattais fut brûlée, et je réussis à gagner la terre, qui était assez éloignée, sans autre aide qu’une rame. Il me sembla que la main de Dieu m’avait sauvé, et qu’il n’aurait pas pris un soin si