Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/70

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tendre et si manifeste d’une de ses plus insignifiantes créatures, si ce n’eût été pour la faire servir à son honneur et à sa gloire.

Quoique l’œil du navigateur devint plus étincelant et que ses joues brillassent d’une sorte de saint enthousiasme pendant qu’il prononçait ces paroles, il était impossible de confondre un homme si grave, si plein de dignité, si mesuré même dans ses exagérations, s’il s’en trouvait dans ce qu’il venait de dire, avec ces êtres légers et frivoles qui prennent les impulsions du moment pour des impressions indélébiles, et des vanités passagères pour des convictions énergiques. Le père Pédro, au lieu de sourire, ou de montrer de quelque autre manière qu’il faisait peu de cas des opinions du navigateur, fit encore un signe de croix, et ses traits firent voir avec quelle sincérité il partageait ses sentiments religieux.

— Les voies de Dieu sont souvent des mystères pour ses créatures, dit le moine, mais nous avons appris qu’elles conduisent toujours à l’exaltation de son nom et à la gloire de ses attributs.

— C’est précisément ce que je pense, mon père, dit Colomb, et c’est toujours sous ce point de vue que j’ai considéré mes humbles efforts pour honorer Dieu. Nous ne sommes dans ses mains que des instruments, et des instruments inutiles, quand on fait attention aux faibles résultats qu’obtiennent toutes nos forces et tout notre pouvoir.

— Voici le bienheureux symbole qui est notre salut et notre guide ! s’écria le père Pédro étendant les deux bras vers le ciel, comme pour embrasser un objet éloigné ; et, se jetant à genoux, il baissa jusqu’à terre sa tête nue, avec une humilité profonde.

Colomb tourna les yeux du côté qu’indiquaient les gestes du moine, et vit la grande croix d’argent que les souverains avaient portée avec eux pendant toute cette guerre, comme un gage des motifs qui la leur avaient fait entreprendre, briller au haut de la principale tour de l’Alhambra. L’instant d’après ou vit les bannières de Castille et de Saint-Jacques déployées sur le sommet d’autres tours. Un chant de triomphe se mêla alors aux chants de l’Église. Ou chanta le Te Deum, et les chœurs de la chapelle royale entonnèrent les louanges du Dieu des armées. Il s’ensuivit une scène magnifique de pompe, moitié religieuse, moitié martiale ; mais la description en appartient à l’histoire générale plutôt qu’à la relation d’incidents privés qui nous occupe.