Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/75

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la reine. Là elle s’arrêta un moment, réfléchissant si elle devait laisser son neveu seul avec sa pupille.

— Quoiqu’il ait mené une vie errante, dit-elle à la dernière, il n’est pas troubadour, et je n’ai pas à craindre qu’il vous charme l’oreille par de mauvaises rimes, je ferais peut-être mieux de l’envoyer avec sa guitare sous votre balcon ; mais je connais la lourdeur de son esprit, et je m’y fierai en le laissant vous tenir compagnie pendant le petit nombre de minutes que durera sans doute mon absence. Un cavalier qui à une si forte répugnance à renverser l’ordre naturel des choses ne daignera sûrement pas se mettre à genoux, quand il s’agirait d’obtenir un sourire de la plus jolie bouche de toute la Castille.

Don Luis se mit à rire ; doña Béatrix embrassa sa pupille en souriant, tandis que doña Mercédès rougissait, les yeux baissés. Luis de Bobadilla était l’amant et le chevalier déclaré de Mercédès de Valverde ; mais quoiqu’il fût tellement favorisé par son rang, sa naissance, sa fortune, les liens de l’affinité et tous les dons qu’il avait reçus de la nature, il existait de sérieux obstacles à son mariage avec elle. Pour tout ce qui a rapport aux considérations qui décident ordinairement en pareil cas, cette union était désirable ; mais il y avait à vaincre les scrupules de doña Béatrix. Professant les principes les plus élevés, accoutumée aux vues pleines de justesse de la reine sa maîtresse, et trop fière pour rien faire qui pût paraître indigne d’elle, les avantages mêmes que son neveu devait retirer d’un mariage avec sa pupille la faisaient hésiter. Il s’en fallait de beaucoup que don Luis eût la gravité du caractère castillan, et bien des gens prenaient mal à propos sa gaieté pour une preuve de légèreté d’esprit. Sa mère sortait d’une famille française très illustre, et la fierté nationale avait porté un grand nombre d’observateurs à s’imaginer que le fils avait hérité d’une disposition naturelle à la frivolité, qu’ils regardaient comme la faible caractéristique de la nation dont la mère faisait partie. C’était peut-être même parce qu’il savait que ses concitoyens le considéraient sous ce point de vue, que Luis s’était décidé à voyager. Comme tous les hommes doués d’un esprit d’observation, il avait doublement reconnu, en voyageant, les défauts de l’état de société dans son pays ; lorsqu’il y était revenu, une sorte d’éloignement mutuel s’était établi entre lui et ceux qui auraient dû être sa compagnie habituelle, et il avait fait de nouveaux voyages dans divers pays étrangers. Rien