Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/76

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que l’amour constant et toujours croissant qu’il avait conçu de bonne heure pour Mercédès n’avait pu l’y ramener, et heureusement pour lui, il était arrivé assez à temps pour coopérer à la réduction de Grenade. Malgré ces traits qui, dans un pays comme la Castille, pouvaient passer pour des singularités, don Luis de Bobadilla était un chevalier digne de son nom et de son lignage. Ses prouesses sur les champs de bataille et dans les tournois avaient été de nature à lui donner une haute réputation de bravoure, en dépit de ce qu’on appelait ses défauts ; et il passait plutôt pour un jeune homme inconsidéré, et sur qui l’on ne pouvait compter, que pour un homme avili et corrompu. Les qualités guerrières, dans ce siècle, rachetaient mille défauts, et l’on avait vu don Luis désarçonner dans un tournoi Alonzo de Ojéda, qui était alors la meilleure lance d’Espagne. Un tel homme pouvait inspirer la méfiance, mais non le mépris. Les scrupules qui retenaient sa tante venaient autant de son propre caractère que de celui de son neveu. Strictement consciencieuse, quoiqu’elle connût les véritables qualités de son neveu mieux que des observateurs superficiels, elle doutait qu’il fût convenable d’accorder la main de la riche héritière confiée à ses soins à un si proche parent, quand ce choix n’aurait pas l’approbation générale. Elle craignait aussi que sa partialité pour lui ne l’aveuglât, et que Luis ne fût véritablement l’être léger et frivole que les Castillans supposaient. Elle tremblait de sacrifier le bonheur de sa pupille à l’indiscrétion de son neveu. Au milieu de tous ces doutes, elle désirait secrètement cette union, mais en public elle avait l’air de ne pas favoriser les prétentions de Luis, et quoiqu’elle n’eût pu, sans une dureté que les circonstances n’auraient pas justifiée, empêcher toute communication entre eux, non seulement elle avait souvent saisi l’occasion de faire part de sa méfiance à doña Mercédès, mais elle avait soin de la laisser le moins possible seule avec un amant si bien fait et qui habitait souvent chez elle.

Quant aux sentiments de Mercédès, elle seule les connaissait. Elle était belle, d’une famille honorable, et héritière d’une grande fortune ; et comme les faiblesses humaines étaient aussi communes sous la gravité imposante du quinzième siècle qu’elles le sont de nos jours, elle avait souvent entendu des gens qui étaient jaloux de la bonne mine de don Luis et des fréquentes occasions qu’il avait de la voir, parler en ricanant des défauts supposés de son caractère. Peu de jeunes personnes, en pareille circonstance,