Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/77

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auraient eu le courage de montrer une préférence marquée, à moins qu’elles ne fussent disposées à avouer hautement leur choix et à prendre contre le monde entier le parti de celui qui en était l’objet, et l’enthousiasme profond mais tranquille qui dominait dans le système moral de la belle Castillane était modéré par une prudence qui l’empêchait de tomber dans les plus légers des excès auxquels il peut porter. Les formalités et l’étiquette qui entourent ordinairement les jeunes personnes d’un rang distingué, venaient à l’aide de cette prudence naturelle ; et don Luis lui-même, quoiqu’il eût épié longtemps, avec la jalousie et l’instinct d’un amant, les émotions qui pouvaient se peindre sur les traits de celle à qui il avait déclaré si souvent sa passion, doutait encore s’il avait réussi le moins du monde à toucher son cœur. Par un de ces concours de circonstances inattendues qui décident si souvent de la fortune des hommes, soit en amour, soit dans la poursuite d’objets plus matériels, ces doutes allaient disparaître tout à coup.

Le triomphe des armes des chrétiens, la nouveauté de la situation, et l’entraînement causé par la scène qu’elle avait eue sous les yeux, tout avait préparé les sentiments de doña Mercédès à sortir des ténèbres sous lesquelles les cachait le voile de la réserve. Pendant toute la soirée, son sourire avait été plus franc, son œil plus brillant, ses joues plus animées, qu’on ne le remarquait même dans une jeune personne dont le sourire était toujours plein de douceur, dont l’œil n’était jamais sans expression, et dont la physionomie répondait si bien aux mouvements secrets de son âme.

Dès que sa tante eut quitté l’appartement, la laissant seule avec son neveu pour la première fois depuis son retour de son dernier voyage, don Luis se plaça sur un tabouret, presque aux pieds de Mercédès : elle s’était assise sur un divan somptueux qui, vingt-quatre heures auparavant, était à l’usage d’une princesse de la famille d’Abdallah.

— Quoique j’honore et que je respecte beaucoup Son Altesse, dit le jeune homme à la hâte, mon respect et ma vénération pour elle viennent de s’élever dix fois plus haut. Plût au ciel qu’elle eût besoin de ma chère tante trois fois au lieu d’une, et que la présence de celle-ci devînt si nécessaire à la souveraine, qu’aucune affaire en Castille ne pût marcher sans son avis, si son obéissance aux ordres d’Isabelle devait être suivie d’occasions