Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/82

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a regardé lui-même cette entreprise comme trop importante pour être tentée par un autre qu’une tête couronnée, et il a employé son influence sur notre maîtresse pour tâcher de lui faire partager son opinion sur la sagacité du Génois. Il est donc inutile de songer à seconder efficacement cette noble entreprise, à moins que ce ne soit par le moyen de Leurs Altesses.

— Vous savez, Mercédès, que je ne puis rien pour Colon à la cour. Le roi est ennemi de tout ce qui n’est pas circonspect, froid et artificieux comme lui.

— Luis ! vous êtes dans son palais, sous son toit, — vous jouissez en ce moment même de sa protection et de son hospitalité.

— Point du tout, répondit le jeune homme avec chaleur. Ce palais est celui de ma maîtresse la reine Isabelle ; Grenade étant une conquête faite par la Castille, et non par l’Aragon. Quant à la reine, Mercédès, vous ne m’en entendrez jamais parler qu’avec un profond respect, car elle réunit, comme vous, tout ce qu’il y a de meilleur, de plus doux et de plus vertueux dans la femme, au lieu que le roi a un grand nombre des défauts de nous autres hommes, intéressés et corrompus. Vous ne pourriez me citer, même parmi les Aragonnais, un jeune cavalier généreux et ardent qui aime véritablement et du fond du cœur don Ferdinand, tandis que toute la Castille adore doña Isabelle.

— Cela peut être vrai en partie, Luis ; mais il est imprudent de le dire. D’après ce que j’ai vu depuis le peu de temps que je suis à la cour, je crois que ceux qui administrent les affaires des hommes doivent fermer les yeux sur un grand nombre de leurs défauts, sans quoi la dépravation humaine contrecarrera les plus sages mesures qu’on puisse prendre. D’ailleurs peut-on aimer véritablement la femme et ne pas respecter le mari ? Quant à moi, il me semble que le nœud qui les unit est si étroit, si serré, qu’il ne fait qu’un seul faisceau de leurs qualités et de leurs vertus.

— Sûrement vous n’avez pas dessein de comparer la piété modeste, la sainte véracité, et la vertu sincère de notre maîtresse, à la politique rasée et astucieuse de Ferdinand.

— Je désire ne pas faire de comparaisons entre eux, Luis. Notre devoir est de les honorer l’un et l’autre, et de leur obéir également. Si doña Isabelle possède la franchise confiante et la pureté du cœur de son sexe à un plus haut degré que son mari, n’est-ce pas ce qui se voit toujours entre l’homme et la femme ?