Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/90

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— Ni la reine ni moi, nous ne désirons rien de semblable. Nous vous connaissons déjà comme un chevalier chrétien accompli ; et comme vous venez de le dire, aucun chevalier ne voudrait mettre sa lance en arrêt contre la vôtre, parce qu’aucun n’a reçu à cet égard un encouragement qui pourrait justifier cette folie. C’est par le moyen du señor Colon que vous devez chercher à obtenir le consentement de la reine.

— Je crois comprendre à peu près ce que vous voulez dire, mais j’aimerais à vous entendre parler plus clairement.

— Je m’exprimerai donc en termes aussi clairs que ma langue en pourra trouver, répondit la jeune Castillane, le feu d’un saint enthousiasme donnant une teinte plus foncée à la rongeur que la tendresse avait appelée sur ses joues. Vous savez déjà en général quelles sont les opinions du señor Colon, et par quels moyens il se propose de parvenir à son but. J’étais encore enfant quand il arriva en Castille pour presser la cour de le mettre en état de commencer cette grande entreprise, et j’ai vu que doña Isabelle a été souvent disposée à lui accorder son aide ; mais la froideur de don Ferdinand et les vues étroites de ses ministres l’en ont toujours détournée. Je crois pourtant qu’elle regarde encore ce projet d’un œil favorable, car Colon, qui tout récemment avait fait ses adieux à toute la cour dans l’intention de quitter l’Espagne et de porter ailleurs ses sollicitations, a été rappelé par l’influence du père Juan Perez, ancien confesseur de la reine ; il est maintenant ici ; vous l’avez vu, il attend impatiemment une audience, et il n’est besoin que d’éveiller les souvenirs de la reine pour lui faire obtenir cette faveur. Si on lui accorde les caravelles qu’il demande, il n’y a nul doute que plusieurs nobles castillans ne désirent prendre part à une entreprise qui couvrira d’une gloire éternelle tous ceux qui y auront coopéré, si elle réussit ; et vous pourriez être de ce nombre.

— Je ne sais trop que penser de ce discours, Mercédès. Il semble étrange de presser ceux qu’on paraît estimer de partir pour une expédition dont il est possible qu’ils ne reviennent jamais.

— Dieu vous protégera ! s’écria-t-elle le visage rayonnant d’une pieuse ardeur ; l’entreprise sera tentée pour sa gloire ; sa main toute-puissante guidera les caravelles, et les mettra à l’abri de tout péril.

Don Luis de Bobadilla sourit, ayant moins de foi religieuse que la belle Castillane, et connaissant mieux les obstacles physiques