Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/89

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ne me feriez pas une pareille question. Quelle fille chrétienne oublie jamais un vœu soit de pèlerinage, soit de pénitence, soit de toute autre chose ? Pourquoi serais-je la première à commettre un crime si honteux ? D’ailleurs, quand je n’aurais fait aucune promesse, le simple désir de la reine, exprimé par elle-même, aurait suffi pour m’empêcher d’épouser qui que ce soit. Elle est ma souveraine, souveraine, ma maîtresse, et je pourrais dire ma mère. Doña Béatrix elle-même montre à peine plus d’intérêt pour mon bonheur. — Il faut m’écouter, Luis, quoique je vous voie prêt à vous récrier et à protester. Je vous ai écouté patiemment pendant plusieurs années ; aujourd’hui c’est mon tour de parler et le votre d’écouter. Je crois que la reine songeait à vous lorsqu’il a été question de ce vœu, que j’ai offert volontairement, et que Son Altesse ne m’a pas extorqué, comme vous semblez le croire ; je crois, dis-je, que doña Isabelle suppose qu’il pouvait être à craindre que je ne cédasse à vos instances, et qu’elle doutait qu’un homme qui aimait tant à courir le monde pût apporter ou maintenir le bonheur dans le sein d’une famille. Mais, Luis, si Son Altesse n’a pas rendu justice à la noblesse et à la générosité de votre cœur ; si elle a été trompée par les apparences, comme la plupart de ceux qui l’entourent ; si elle ne vous a pas connu, en un mot, n’est-ce pas votre faute ? N’avez-vous pas été fréquemment absent de ce pays ? Et quand vous y étiez, vous voyait-on à la cour aussi souvent que l’exigeaient votre rang et votre naissance ? Il est vrai que la reine a été témoin, ainsi que toute sa cour, des succès que vous avez obtenus dans le dernier tournoi, et que, dans la guerre qui vient de se terminer, vous avez acquis du renom par vos exploits contre les Maures ; mais si l’imagination d’une femme accorde aisément son admirations à l’intrépidité, le cœur d’une femme désire des vertus plus douces et des penchants plus stables dans le cercle domestique. Doña Isabelle sait tout cela ; elle l’a reconnu, elle l’a senti, quelque heureux qu’ait été son mariage avec le roi d’Aragon. Est-il donc étonnant qu’elle ait eu cette crainte pour moi ? Non, Luis, votre sensibilité vous a rendu injuste envers Son Altesse, et il est évidemment de votre intérêt de vous la rendre propice, si, comme vous le dites, vous désirez sincèrement obtenir ma main.

— Et que faut-il faire pour cela, Mercédès ? Les Maures sont vaincus, et je ne sais pas si quelque chevalier voudrait me disputer vos bonnes grâces les armes à la main.