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DEERSLAYER

notre couleur. Il appartient à la famille des grands chefs, son père, Uncas, ayant été l’homme le plus distingué de sa tribu, tant pendant la guerre que dans les conseils. Le vieux Tamenund lui-même honore Chingachgook, quoiqu’on le trouve encore trop jeune pour pouvoir conduire les autres à la guerre. Mais cette nation est tellement dispersée et diminuée, que le titre de chef chez elle n’est guère autre chose qu’un nom. Eh bien ! cette guerre étant commencée tout de bon, Chingachgook et moi nous prîmes rendez-vous pour ce soir, au coucher du soleil, près du rocher rond qui est à l’extrémité du lac, pour ensuite partir ensemble pour notre première expédition contre les Mingos. Pourquoi nous sommes venus précisément par ici, c’est notre secret ; mais, comme vous pouvez le supposer, des jeunes gens réfléchis, qui sont sur le sentier de la guerre, ne font rien sans calcul et sans dessein.

— Un Delaware ne peut avoir d’intentions hostiles contre nous, dit Judith après un moment d’hésitation, et nous savons que les vôtres sont amicales.

— La trahison est le dernier crime dont j’espère être jamais accusé, répondit Deerslayer, blessé de l’espèce de méfiance que Judith venait de montrer, et surtout la trahison contre ma propre couleur.

— Personne ne vous soupçonne, Deerslayer, s’écria-t-elle vivement. Non, non, votre physionomie honnête serait une garantie suffisante de la fidélité de mille cœurs. Si tous les hommes avaient une langue aussi véridique, et ne promettaient pas ce qu’ils n’ont pas dessein d’exécuter, il y aurait moins de perfidie dans le monde, et l’on ne regarderait plus de beaux panaches et des habits écarlates comme des excuses pour la bassesse et la tromperie.

Elle parlait avec force et même avec énergie, et ses beaux yeux, ordinairement si doux et si attrayants, étincelaient à l’instant où elle se tut. Deerslayer ne put s’empêcher de remarquer cette émotion extraordinaire ; mais, avec le tact d’un courtisan, non-seulement il évita d’y faire allusion, mais il réussit même à cacher l’effet qu’avait produit sur lui cette découverte. Judith reprit peu à peu son air calme, et comme elle désirait évidemment se montrer sous un jour favorable aux yeux du jeune chasseur, elle fut bientôt en état de renouer la conversation, comme si rien n’eût troublé son sang-froid.

— Je n’ai pas le droit de vouloir pénétrer vos secrets ou ceux de votre ami, Deerslayer, dit-elle, et je suis disposée à donner pleine confiance à tout ce que vous dites. Si nous pouvons réellement nous