désert, même dans les parties où ils n’oseraient se hasarder à pénétrer eux-mêmes pour les reconnaître.
— Cela peut être dans d’autres parties de la colonie, Deerslayer, mais il n’en sera pas de même ici. Personne, excepté Dieu, ne possède un pied de sol dans ces environs. La plume n’a jamais rien griffonné sur le papier concernant une montagne ou une vallée de ces environs, comme j’ai entendu le vieux Tom le dire mainte et mainte fois. Il a donc un meilleur droit que personne à réclamer ce lac comme lui appartenant, et ce que Tom réclame, il n’est pas homme à y renoncer aisément.
— D’après ce que vous dites, Hurry, ce Tom Flottant doit être un homme peu ordinaire : ce n’est ni un Mingo, ni un Delaware, ni une Face Pâle. Sa possession, suivant vous, remonte d’ailleurs bien loin, plus loin qu’on ne le souffre ordinairement sur les frontières.
— Quelle est l’histoire de cet homme ? quelle est sa nature ?
— Quant à la nature du vieux Tom, elle ne ressemble guère à la nature de l’homme ; elle tient davantage de la nature du rat musqué, vu qu’il a les habitudes de cet animal plutôt que celles d’aucun de ses semblables. Il y a des gens qui pensent que, dans sa jeunesse, c’était une sorte de flibustier sur l’eau salée, en compagnie avec un certain Kidd qui a été pendu comme pirate longtemps avant que vous et moi fussions nés, et qu’il est venu ici dans la persuasion que les croiseurs du roi ne pourraient jamais lui donner la chasse sur ces montagnes, et qu’il pourrait y jouir en paix des fruits de ses pillages.
— Il se trompait, Hurry ; il se trompait fort. Un homme ne peut jouir en paix nulle part des fruits de ses pillages.
— C’est suivant la tournure de son esprit : j’en ai connu qui ne pouvaient en jouir qu’au milieu d’une compagnie joyeuse, et d’autres qui en jouissaient mieux seuls dans un coin. Il y a des hommes qui n’ont point de paix s’ils ne trouvent le moyen de piller, et d’autres qui en sont privés après qu’ils ont pillé. La nature humaine ne marche pas sur la même ligne en cela, voyez-vous. Le vieux Tom semble n’être ni des uns ni des autres, car il jouit de son pillage, si pillage il y a, avec ses filles, d’une manière tranquille et confortable, et il ne désire rien de plus.
— Oui, je sais qu’il a des filles. J’ai entendu des Delawares qui ont chassé dans ces environs, raconter leurs histoires de ces jeunes personnes. N’ont-elles pas une mère ?
— Elles en ont eu une, comme de raison ; mais il y a deux bonnes années qu’elle est morte et coulée à fond.