Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 19, 1842.djvu/140

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
136
DEERSLAYER

— Et vous, Deerslayer, dit Judith avec vivacité, et avec plus de sensibilité que n’en montraient d’ordinaire ses manières légères et insouciantes ; n’avez-vous jamais éprouvé combien il est agréable d’écouter le rire de la fille que vous aimez ?

— Dieu vous bénisse, Judith ! Je n’ai jamais vécu assez longtemps parmi les femmes de ma couleur pour tomber dans cette sorte de sentiment. Non, jamais ! J’ose dire qu’ils sont naturels et justes ; mais pour moi, il n’est pas de musique aussi douce que les soupirs du vent dans les cimes des arbres, et que les bouillonnements des eaux d’une source fraîche et pure ; si ce n’est pourtant, continua-t-il en laissant retomber un instant sa tête d’un air pensif ; si ce n’est pourtant l’aboiement d’un certain chien, quand je suis sur les traces d’un daim bien gras. Quant à d’autres chiens que celui-là, je m’inquiète peu de leurs aboiements ; car ils semblent être aussi prêts à parler quand le daim n’est pas en vue que quand il y est.

Judith s’éloigna lentement et d’un air pensif ; et il n’y eut aucun de ses calculs ordinaires de coquetterie dans le soupir tremblant et léger qui s’échappa de ses lèvres à son insu. D’un autre côté, Hetty écouta avec une attention réelle, quoiqu’il semblât étrange à son esprit borné que le jeune homme pût préférer la mélodie des bois aux chants des jeunes filles, ou même au rire de l’innocence et de la joie. Néanmoins, accoutumée comme elle l’était à s’en rapporter en toutes choses à sa sœur, elle suivit bientôt Judith dans la cabine, où elle s’assit, et resta occupée à réfléchir à quelque événement, résolution ou opinion, qui resta un secret pour tout autre qu’elle-même. Une fois seuls, Deerslayer et son ami reprirent leur entretien.

— Le jeune chasseur à visage pâle est-il depuis longtemps sur ce lac ? demanda le Delaware après avoir attendu par courtoisie que son compagnon parlât le premier.

— Seulement depuis hier à midi, Serpent, quoique ce temps ait été assez long pour voir et faire beaucoup de choses.

Le regard fixe que l’Indien attachait sur son compagnon était si perçant, qu’il semblait défier l’obscurité croissante de la nuit. En le regardant furtivement à son tour, son ami vit ses deux yeux noirs briller comme ceux de la panthère ou du loup pris au piège. Il comprit le langage de ces regards étincelants, et il y répondit évasivement, de la manière qu’il crut la plus en harmonie avec la modestie d’un blanc.

— C’est comme vous le soupçonnez, Serpent ; oui, c’est un peu