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DEERSLAYER

pendant qu’elle marchait lentement ainsi au milieu de quelques broussailles, les yeux fixés sur ces animaux immobiles, que la jeune fille se trouva tout à coup arrêtée par une main qui toucha légèrement son épaule.

— Où aller ? dit une douce voix de femme, parlant à la hâte et avec un ton d’intérêt. Indiens, hommes rouges, sauvages, guerriers méchants, de ce côté.

Ce salut inattendu n’alarma pas plus la jeune fille que ne l’avait fait la présence des farouches habitants des bois. Il la prit un peu par surprise, à la vérité ; mais elle était en quelque sorte préparée à une pareille rencontre, et la créature qui l’arrêta devait l’effrayer moins qu’aucune autre faisant partie du peuple indien. C’était une fille à peine plus âgée qu’elle, dont le sourire était aussi rayonnant qu’un des plus joyeux sourires de Judith, dont la voix était la mélodie même, et dont l’accent et les manières avaient toute la douceur craintive qui caractérise son sexe, parmi des hommes qui traitent ordinairement leurs femmes comme les servantes des guerriers. La beauté n’est pas rare, il s’en faut, chez les femmes des aborigènes américains, avant qu’elles soient exposées aux fatigues du mariage et de la maternité. De ce côté, les premiers maîtres du pays ne différaient pas de leurs successeurs plus civilisés, la nature semblant avoir prodigué aux femmes de cette contrée cette délicatesse de traits et de contours qui donne un si grand charme aux jeunes filles, mais dont elles sont privées de si bonne heure, tant par les habitudes de la vie domestique que par toute autre cause.

L’Indienne qui avait si soudainement arrêté les pas de Hetty était vêtue d’une mantille de calicot, qui couvrait suffisamment tout le haut de sa personne ; un jupon court en drap bleu bordé de galon d’or, qui ne descendait pas plus bas que ses genoux, des bas de même étoffe, et des moccasins de peau de daim, complétaient son costume. Ses cheveux tombaient en longues tresses brunes sur son dos et sur ses épaules, et ils étaient partagés au-dessus d’un front bas et uni, de manière à adoucir l’expression de ses yeux pleins d’espièglerie et de naturel. Son visage était ovale et ses traits délicats ; ses dents étaient égales et blanches, tandis que sa bouche exprimait une tendresse mélancolique, comme si cette expression particulière eût été produite par une sorte d’intuition de la destinée d’un être condamné en naissant à endurer les souffrances de la femme adoucies par les affections de la femme. Sa voix, ainsi que nous l’avons déjà dit, avait la douceur de la brise du soir, charme qui distingue celles de sa race, mais qui chez elle était si remar-