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OU LE TUEUR DE DAIMS.

Les officiers des forts sur les bords du Mohawk viennent quelquefois jusqu’au lac pour pêcher et chasser, et alors la pauvre créature semble en perdre l’esprit. On peut le voir à la manière dont elle se requinque, et aux airs qu’elle se donne avec ces galants.

— Cela ne convient pas à la fille d’un pauvre homme, dit Deerslayer d’un ton grave. — Tous les officiers sont des hommes comme il faut, et ils ne peuvent jeter les yeux sur une fille comme Judith qu’avec de mauvaises intentions.

— C’est ce qui me rend indécis et ce qui me refroidit. Il y a surtout un certain capitaine qui me cause des pressentiments fâcheux ; et si j’ai tort, Judith ne doit en accuser que sa propre folie. Au total, je voudrais la regarder comme modeste et prudente ; mais les nuages que le vent pousse par-dessus nos montagnes ne savent pas plus où ils vont que son esprit. Il n’y a pas une douzaine d’hommes blancs qui aient jeté les yeux sur elle depuis son enfance, et pourtant les airs qu’elle se donne avec deux ou trois de ces officiers sont un éteignoir pour mes espérances.

— À votre place, je ne songerais plus à une telle femme ; je tournerais toutes mes idées vers la forêt, qui ne vous trompera jamais, parce qu’elle est sous les ordres et le gouvernement d’une main qui ne peut errer.

— Si vous connaissiez Judith, vous verriez qu’il est plus facile de donner ce conseil que de le suivre. Si je pouvais me décider à ne pas m’occuper des officiers, je l’emmènerais de vive force sur les bords du Mohawk, je l’épouserais en dépit des petites façons qu’elle pourrait faire, et je laisserais le vieux Tom aux soins de son autre fille Hetty, qui, si elle n’est aussi belle ni aussi spirituelle que Judith, est certainement la fille la plus soumise.

— Ah ! il y a donc un autre oiseau dans le même nid ? dit Deerslayer avec une espèce de curiosité qui commençait à s’éveiller ; — les Delawares ne m’avaient parlé que de Judith.

— Cela est assez naturel, quand il s’agit de Judith et de Hetty. Hetty n’est que jolie, tandis que sa sœur, je vous le dis, mon garçon, est une fille comme on n’en trouverait pas une autre d’ici aux bords de la mer. Judith est aussi pleine d’esprit, d’adresse et de paroles qu’un vieil orateur indien, tandis que la pauvre Hetty n’est tout au plus que compass meant us[1].

— Comment dites-vous ? demanda Deerslayer encore une fois.

Compass meant us, comme je l’ai entendu dire aux officiers ; et

  1. Voulant dire compos mentis ; jouissant de son bon sens.